Après d’âpres débats et trois semaines d’existence, voici une première mouture de notre plateforme de revendications accompagné d’un petit texte introductif. Elle évoluera au fil des discussions dans la Coordination mais constitue un socle qui nous rassemble pour agir.
Qu’est-ce que le tiers secteur médiatique ? Tout ce que devraient être les médias. Qu’a-t-il été jusqu’à présent ? Rien. Que demande-t-il ? A devenir quelque chose dans l’ordre médiatique.
Huit ans après les Rencontres de Marseille des médias associatifs et indépendants et de l’appel qui en a découlé, rien ou presque n’a changé. Pour la presse pas pareille, les radios associatives, les télés participatives, le web citoyen, le constat reste malheureusement le même. Alors que nous faisons vivre le pluralisme, que nous contribuons au débat démocratique, que nous sommes producteurs de richesse et de savoir, que nous faisons entendre d’autres voix et laissons entrevoir d’autres possibles, nous sommes réduits à être en permanence dans une logique de survie, obligés de tendre notre sébile, de faire la manche ou de renoncer à nous payer pour ce qui reste un métier : produire et diffuser de l’information.
Déjà à l’époque, nous dressions ce constat : à côté des secteurs privé et public, il existe un vaste tiers secteur des médias constitué d’une multitude de médias non alignés, à but non lucratif, indépendants des pouvoirs publics, des puissances financières, des partis politiques et des obédiences confessionnelles. Que ce soit dans l’univers de la radio, de la télévision, de l’internet ou de la presse écrite, les Médias du Tiers Secteur sont porteurs d’une même exigence de liberté d’expression, d’information et de création. Associatifs, coopératifs ou mutualistes, ils se définissent selon les cas comme des médias démocratiques, alternatifs, participatifs, libres, solidaires et/ou citoyens. La diversité assumée de leurs objectifs, de leurs contenus, de leur fonctionnement, de leur mode et de leur zone de diffusion, de leurs approches du local et de la proximité en résonance avec le niveau planétaire, et de leur rapport à leur public, participe de la richesse même de ce tiers secteur des médias. (Extrait de l’appel de Marseille de 2006)
La révolution numérique a peut-être eu lieu, elle est certainement en cours voire à venir mais elle ne saurait être le Graal tant attendu, leurre que nous agitent les pouvoirs publics quand nous avons l’outrecuidance de réclamer des moyens pour vivre.
Il y a 60 ans, le Conseil National de la Résistance (CNR), souhaitant rétablir la liberté de la presse et soustraire cette dernière de l’influence de l’Etat et des puissances d’argent, les pouvoirs publics avaient affirmé que « la presse n’est pas un instrument d’objet commercial mais un instrument de culture ». Et, en conséquence, avait été mis en place tout un dispositif pour que vive le pluralisme et les médias. Depuis, l’ensemble de ce système a été, patiemment, systématiquement, démantelé, comme d’autres acquis sociaux. Et ce, alors que le Conseil Constitutionnel vient de reconnaître le caractère constitutionnel du pluralisme !
Voilà pourquoi la Coordination permanente des médias libres, constituée depuis rencontres des médias libres et du journalisme de résistance de Meymac, en mai dernier, lance cet appel.
Ces revendications évolueront avec l’avancée de nos travaux internes mais constituent une base commune sur laquelle nous nous accordons.
1. Pour l’ensemble des Médias du Tiers Secteur :
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– Elaboration démocratique d’une loi contre la concentration financière et industrielle des médias.
– Représentation des Médias du Tiers Secteur dans toutes instances de régulation, de concertation et de gestion concernant les médias.
– Réforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), particulièrement du mode de désignation de ses membres, pour qu’il devienne représentatif de l’ensemble de la société et soit au service du pluralisme.
– Reconnaissance, protection et garantie d’exercice de l’activité des personnes contribuant à la vie des médias du tiers secteur.
– Attribution aux Médias du Tiers Secteur d’une part équitable des budgets des campagnes de communication d’intérêt collectif et d’intérêt général.
– reconnaissance institutionnelle comme :
-acteur central de l’éducation aux média, capable d’intervenir en milieu scolaire ou parascolaire
-médias d’éducation populaire, au travers de nos pratiques et de notre implication aux côtés des publics éloignés des médias, de l’écrit, notamment ceux des quartiers les plus défavorisés.
– créateur de richesse, y compris non marchande, dans le domaine de l’économie sociale et solidaire.
– organisme de formation professionnelle et excellente école pour les futurs travailleurs des médias, y compris issus des écoles de journalisme ou de communication.[/spoiler]
2. Pour les radios associatives :
[spoiler]- Renforcement du Fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER) : représentants élus, pourcentage sans plafond au lieu de fourchette plafonnée pour la taxe fiscale sur la publicité des radios et des télévisions alimentant ce Fonds, paiement des subventions dans l’année.
– redéfinition des critères d’attribution du FSER et transparence dans les décisions.
– Aide spécifique au passage au numérique (information et équipement).
– Protection du quota des fréquences associatives (30% des fréquences pour le secteur associatif).[/spoiler]
3. Pour les télévisions associatives
[spoiler]- Extension aux télévisions associatives du Fonds de soutien aux radios associatives (FSER) par une augmentation du montant et de l’assiette (grands médias et hors médias) de la taxe sur la publicité qui alimente actuellement ce Fonds, et par l’instauration d’une redevance sur l’utilisation des fréquences hertziennes par les opérateurs audiovisuels commerciaux.
– Obligation de transport gratuit des télévisions associatives par les distributeurs privés commerciaux du câble, du satellite, de la TNT, de l’ADSL et de la téléphonie mobile.
– Des appels à candidatures spécifiques du CSA réservés aux télévisions associatives indépendantes, pour que leur soit attribué un quota équitable de fréquences analogiques et numériques aux plans local, départemental, régional et national.
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4. Pour la presse écrite, l’édition indépendante et sans but lucratif
[spoiler]-Refonte des aides à la presse afin que la presse pas pareille, indépendante, associative, citoyenne, ait les moyens non plus de survivre mais de vivre, considérant que ces journaux, par le biais de leur travail d’information, de critique, de débat, d’animation, assurent le pluralisme sur leurs territoires. Et ce, sans condition discriminante de territorialité et de périodicité.
-Refonte du système de diffusion et de distribution afin que la presse pas pareille, indépendante, associative, citoyenne, ait les moyens d’être présent sur l’ensemble de ses territoires. Notamment en bénéficiant du tarif le plus avantageux des tarifs postaux. Le cahier des charges de Presstalis et des MLP doit être révisé afin que la diffusion dans le réseau des marchands de journaux de la PPP soit garantie et face l’objet d’une discrimination positive.
– Financement pérenne, fléché et sans conditions de la presse pas pareille, indépendante, associative, citoyenne, par les collectivités locales, cette presse de proximité, faisant vivre localement le pluralisme et contribuant à l’animation de ses territoires (aide au fonctionnement, d’investissement, appel à projet, campagne de communication…)
– Financement (tant national que local) des plateformes à la fois sectorielles et territoriales contribuant à la structuration des médias pas pareils, indépendants, associatifs, citoyens, notamment à travers un travail de mutualisation et de collaboration entre ces membres.
-Développement d’aides spécifiques à la diffusion et révision des conditions d’accès aux points de vente de presse (NMPP, MLP).
– Incitation des dispositifs publics de lecture (bibliothèques, centres de documentations…) à diversifier leur offre par l’établissement de politiques d’achat spécifiques pour l’édition et la presse indépendante, et création de Maisons citoyennes de l’information et de la création.[/spoiler]
5. Pour l’internet solidaire et non marchand
[spoiler]- Retrait de toute loi et non application des directives attentatoires à la vie privée et à la liberté d’expression sur internet.
– Remise en cause de toutes les entraves à la libre circulation des contenus sur internet (notamment celles introduites par les lois DADVSI, HADOPI et par les velléités de régulation d’Internet par le CSA), dans le respect véritable des droits des auteurs, des créateurs et des journalistes.
– Défense absolue du principe de neutralité du net
– Soutien aux Fournisseurs d’accès Internet indépendants et décentralisés
– Promotion de l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts par opposition aux formats propriétaires, et aide spécifique pour la formation à ces outils.[/spoiler]
Médias par définition précaires, nous sommes on ne peut plus sensibles à la question de la précarité de la profession ou des professionnels : pigistes, correspondants, CDD en contrats d’usage, stagiaires au rabais, etc. … Or, quand ceux qui font l’information sont précaires, l’info, elle, est sommaire. Ainsi, si l’information n’est pas une marchandise, ceux qui la font non plus. Au travers de notre revendication à exister, c’est l’ensemble du système médiatique que nous voulons transformer. Parce que notre manière de faire, indépendante, professionnelle, enthousiaste et passionnée, libérée des contraintes des entreprises financières et industrielles, mais aussi de la dictature des formats et du temps ne doit pas être l’exception mais la norme.
Nous ne prétendons pas représenter toute la presse mais simplement ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Nous ne revendiquons pas des subventions individuelles pour chacun mais la création de droits et acquis sociaux collectifs.
Actuellement, les travailleurs de la culture et de l’audiovisuel se mobilisent pour la défense de leur régime d’indemnisation comme intermittents. Pas par corporatisme. Mais parce qu’ils savent qu’il conditionne l’existence de la culture et de la création. Il y aurait, parait-il, dans notre beau pays, une exception en ce domaine, exception depuis passablement remise en cause. Nous voulons, parce que nous remplissons une mission de service public, que le pluralisme et l’information soient eux aussi sanctuarisés.
Un 19 juin, à Meymac, dans un pays où l’on fabrique du fromage, des présidents et des médias libres et de résistance. Et parce que le 18 était déjà pris.
Vive les médias libres !