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Les élections  2017 vues par les MEDIAS LIBRES
Carnets de Campagne
Les élections  2017 vues par les MEDIAS LIBRES
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Le tiers secteur médiatique - canards déchaînés, radios libres, télés pas très cathodiques et pirates du web - a décidé de jouer les vigies citoyennes. D'où ce site internet, réalisé par la Coordination permanente des médias libres et Médias Citoyens, avec un coup de main de Basta Mag et son portail des médias libres.

« J'ai rêvé d'un autre monde »... Perdu.

Le spectacle que donne à voir la campagne électorale actuellement confirme, s'il en était besoin, que la démocratie ne saurait se résumer à l'exercice consistant à glisser de temps à autre un bulletin dans l'urne. Corruption, affairisme, scandales, extrémisme, intolérance, démagogie...


Découvrez les différents articles de ce carnet en tournant les pages vers la droite  

Simonnet-Duflot, la guerre fratricide des gauches écologistes

L’union de la gauche a fait long feu. Condensé de cette incapacité à s’allier, la sixième circonscription de Paris voit s’affronter Danielle Simonnet (FI), Cécile Duflot (EELV-PS), Adrien Tiberti (PCF) et Nawel Oumer (socialiste non investie par le PS). Reporterre ausculte sur le terrain la division.




Paris, reportage

L’union de la gauche. Ah, on l’a rêvée. Présentée comme une « occasion historique » après la victoire de Benoît Hamon à la primaire de la Belle Alliance populaire, elle s’est effritée en une multitude de candidatures aux législatives. Dans l’entre-deux tours, David Cormand espérait encore un accord entre EELV, les hamonistes du PS, le Parti communiste français (PCF) et la France insoumise, afin de proposer des candidatures communes et de maximiser le nombre de députés de la gauche écologique et sociale au Parlement. Las, l’alliance ne s’est pas faite. Pour comprendre, Reporterre a battu la campagne dans une circonscription emblématique : la « 6e circo » de Paris, réputée la plus à gauche de la capitale.

Alors que Cécile Duflot, députée sortante soutenue par EELV et le PS, y affronte Danielle Simonnet, bras droit de Jean-Luc Mélenchon à la France insoumise, le combat est emblématique. S’ajoutent d’autres candidats moins connus, Nawel Oumer, PS dissidente désignée par les militants socialistes locaux et Adrien Tiberti, élu municipal du PCF. Récit d’une semaine dans les rues des 20e et 11e arrondissements de Paris, sur les talons de ces quatre candidats et de leurs militants.



Mercredi 24 mai, place de Ménilmontant avec la France insoumise

Surélevée sur son estrade, micro à la main, veste rouge, Danielle Simonnet s’adresse à l’assemblée : « Est-ce que vous trouvez que la loi Duflot, elle a permis de faire baisser vos loyers ? » « Non ! » répond-elle en chœur avec la foule. « Il est hors de question de laisser les pleins pouvoirs à Macron ! » poursuit la représentante de la France insoumise, avant de laisser la place à Jean-Luc Mélenchon, en tournée de soutien aux candidats de son mouvement. « Nous avons plus de candidats dans tout le pays que la République en marche ! [REM] et François Bayrou, se félicite-t-il. Il faut une étiquette dans tout le pays : je suis la marque, et le programme, c’est l’Avenir en commun ! »

Tables, affiches de campagne et chapiteau ont été déballés à la sortie du métro de Ménilmontant. Un petit groupe de musique met une ambiance de fête populaire. Des militants servent à boire aux 100, 200 personnes écrasées par la chaleur — on cherche un peu d’ombre sous les quelques arbres de la place. Alors que Jean-Luc Mélenchon s’échappe par la bouche de métro, les discussions reprennent.



Danielle Simonnet (France insoumise), place de Ménilmontant, le 24 mai.

Danielle Simonnet s’était déjà présentée en 2012, elle avait échoué face à Cécile Duflot, qui était portée par l’accord EELV-PS. Rebelote cette année : l’écologiste se présente à sa propre succession à l’Assemblée nationale, toujours avec les deux logos sur ses tracts. Mais cette fois-ci, elle ne passera pas, espère-t-on à la France insoumise. « Danielle passe à la télé, elle a la tchatche, et elle est implantée dans le quartier depuis des années, les gens la connaissent, explique Emmanuel Auray, du groupe des Insoumis de la circonscription. Alors que Duflot n’a pas d’implantation locale. » « J’ai fait une soirée spectacle au Zèbre de Belleville, c’était plein à craquer. Le même soir, Cécile Duflot réunissait moins d’une vingtaine de personnes en réunion publique », assure Danielle Simonnet.

En plus des traditionnels tractages, réunions publiques et porte-à-porte, l’équipe de campagne multiplie les « prises de place », comme l’événement du jour, et l’insoumise fait des conférences gesticulées — sortes de conférences-spectacle militantes. « Cette législative, on va la gagner », lance-t-elle avec assurance. Même discours quand on parle de l’échelle nationale. Quand Reporterre lui demande combien de députés vise la France insoumise, la porte-parole de Jean-Luc Mélenchon refuse de donner un chiffre. « La majorité absolue », répond-elle. Ignorant les sondages qui placent son mouvement autour de 11 % des intentions de vote, le seul objectif affiché est résolument optimiste : c’est la victoire.

Le discours tranche, alors que la multiplication des candidatures de gauche fait craindre que de nombreuses circonscriptions basculent et passent à la REM. La France insoumise n’a même pas trouvé d’accord avec le PCF, alors qu’ils soutenaient le même candidat aux présidentielles. Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon sera présent dans 567 circonscriptions. Seuls des arrangements locaux ont permis de limiter les candidats dans certaines circonscriptions, avec des désistements de candidats soit du PCF, soit de la France insoumise. Les accords avec EELV sont encore plus rares. Ceux avec le PS, quasi inexistants : à notre connaissance, seule Isabelle Attard, dans la 5e circonscription du Calvados, a réussi à réunir autour d’elle PS, EELV, PCF et France insoumise. Mais elle n’affiche aucun logo : elle est candidate citoyenne. François Ruffin, lui, a réussi l’union des mêmes sauf du PS. Il se présente sous la bannière Picardie debout dans la première circonscription de la Somme.

Tous les candidats ayant le soutien de la France insoumise ont l’obligation d’avoir signé la « charte des candidat.e.s ». Un gage de cohérence, pour Danielle Simonnet : « On a élaboré un programme à partir de contributions très nombreuses, on mène une campagne pour le défendre, à la présidentielle comme aux législatives. Cela ne se marchande pas. Notre stratégie, c’est de fédérer le peuple, pas les appareils. 80 % des 7 millions d’électeurs qui ont voté pour Mélenchon ont fait un vote d’adhésion. » Elle estime que son mouvement a les moyens de gagner, malgré l’absence d’alliance à gauche.

« On a fait ce qu’on pouvait pour s’ouvrir aux autres, estime Alexandre, un jeune militant de 26 ans. Le PCF a rapidement fermé la porte et le PS a passé à la trappe une bonne partie du programme de Hamon pour les législatives... Alors que nous, on a investi des écolos, des communistes, des membres de la nouvelle gauche socialiste. » La conversation attire d’autres militants. « Le cas de Benoît Hamon et d’EELV montre qu’additionner les partis, ça ne permet pas de gagner », ajoute Simon, dans la même tranche d’âge. Et Antoine, lui aussi fraîchement entré dans le militantisme politique, de reprendre : « On n’est pas à cinq députés près. Il vaut mieux être une force politique cohérente pour s’imposer comme la véritable opposition à Macron. » Reporterre demande une photo au petit groupe. « Danielle, tu viens avec nous ? » Elle s’ajoute, puis un, puis deux, puis d’autres. La bande lâche en cœur un sourire motivé, avant de remballer tables et affiches alors que point la soirée.



Lundi 29 mai, sortie du métro Faidherbe-Chaligny avec le PCF

Ils se sont répartis les sorties. Au débouché de l’escalator du métro, avec un militant de chaque côté, impossible d’échapper au tract qui vous est tendu. « Vous êtes avec Mélenchon ? » demande un passant. Pas tout à fait. Adrien Tiberti, avec la section locale du PCF, a bien fait la campagne de Jean-Luc Mélenchon ces derniers mois. En 2012, déjà, il était le suppléant de Danielle Simonnet, sous la bannière du Front de gauche. Cette fois-ci, le militant de longue date du PCF se présente, en dehors de toute alliance, sous les couleurs de son parti.



Adrien Tiberti (PCF), à la sortie du métro Faidherbe-Chaligny, le 29 mai.

Il aurait pourtant été prêt à réitérer cette candidature commune. Mais les alliés d’hier ne le sont plus aujourd’hui. « On a proposé une discussion à l’échelle de Paris, Danielle Simonnet n’a jamais répondu aux coups de fil, regrette-t-il. On l’a dit et redit, sans nous Mélenchon n’aurait pas pu être candidat, il n’aurait pas eu les 500 signatures nécessaires. Il a fait 7 millions de voix à la présidentielle, on lui propose de faire des candidatures communes pour que ces gens-là soient représentés et lui, il répond non, il garde tout pour lui. Il a mis des candidats quasiment partout, y compris contre des députés communistes sortants qui ont un très bon bilan ! »

Régulièrement, les flots de voyageurs sortent en grappes de l’escalier. Le paquet de tracts diminue vite. Parfois, un habitant s’arrête pour claquer la bise aux deux vaillants militants. Le parti est bien implanté dans le quartier. « Nous, la différence avec les autres, c’est qu’on est là toute l’année, pas qu’en période d’élections », assure Adrien Tiberti.

Parmi ces fidèles, Bradley Smith, Franco-Anglais au doux accent et à la grammaire parfaite, avoue son ressentiment : « J’ai l’impression que la France insoumise m’a instrumentalisé. Dans le 11e arrondissement, on s’est organisés avec eux et Ensemble pour faire un tract, une campagne commune, et maintenant, plus rien. Il n’y a pas eu le moindre message de remerciement aux militants du PCF qui ont fait la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Visiblement, il veut être à la tête d’un nouveau pôle de gauche et s’il faut faire péter le PCF sur son chemin, tant pis. »



Adrien Tiberti ajoute une autre explication, plus prosaïque. « La loi de financement des partis politiques pousse à présenter un maximum de candidats », estime-il. Une partie des subventions publiques dépend du score réalisé par le parti aux législatives. À condition qu’il ait un minimum de 50 candidats ayant obtenu au moins 1 % des voix, il reçoit environ 1,42 euro par voix (cela diminue quand le parti ne respecte pas la parité). Grâce à cela, le PS a reçu 10 millions d’euros de l’État en 2015, l’UMP 6 millions, le FN presque 5 millions, EELV 2 millions d’euros. « Résultat, dans cette circonscription, on a 26 candidats, c’est délirant », observe l’élu, tout en rangeant ses tracts. 20 h, il est temps de rentrer pour ce prof’ d’histoire-géo qui a aussi des copies à corriger.

Mardi 30 mai, au marché de Belleville avec Cécile Duflot (EELV et PS)

« Vous avez tracté toute votre vie ? Je vous trouve bien courageuse ! » lance une passante à Cécile Duflot. Un autre prend un selfie avec elle. Un troisième, un brin provocateur, s’arrête. « Content de vous voir », dit-il, sous-entendant qu’elle n’a pas été souvent présente dans sa circonscription pendant son mandat. La députée, pas démontée, a déjà affûté sa réponse : « Je pense que le travail du parlementaire se fait avant tout à l’Assemblée. Je ne fais pas du présentiel pour du présentiel. »

En cette matinée de marché, les tracts verts partent comme des petits pains, accompagnés du flyer invitant à un meeting commun avec Benoît Hamon. Sur les documents, la rose du PS figure aux côtés du logo EELV. « Je fais la campagne depuis janvier, puis je suis passée en mode intensif après le deuxième tour, explique l’élue écologiste. La probabilité la plus élevée est que je perde cette élection. Je ne me leurre pas. D’autant qu’il y a visiblement un objectif partagé par la plupart de mes concurrents, c’est d’œuvrer à la défaite. » Selon elle, le candidat de la République en marche !, Pierre Person, est celui qui a le plus de chances de l’emporter.



Cécile Duflot (EELV et PS) le 30 mai, au marché de Belleville.

« Dans cette circonscription, En Marche ! est arrivé en tête à la présidentielle, suivi de Jean-Luc Mélenchon, et Benoît Hamon a fait son meilleur score de France métropolitaine. Mais c’est aussi celle qui donne les meilleurs résultats écologistes en France depuis des années », analyse-t-elle, posée dans un café après plus d’une heure de tractage.

Difficile de lui arracher quelques phrases sur cet éclatement des candidatures à gauche. « On aurait pu réfléchir à une alliance, mais cela s’est heurté à une fin de non-recevoir assez ferme, résume-t-elle. Jean-Luc Mélenchon n’a aucune volonté de rassemblement, il veut remplacer le PS. Je l’ai compris assez vite. Il y a eu un petit moment de flottement juste après la désignation de Benoît Hamon, puis cela s’est très vite refermé. Alors, je me suis dit que je n’allais pas m’épuiser dans des discussions entre les uns et les autres. Je veux parler aux citoyens. »



Sa campagne, elle la mène « sur [s]on nom », accompagnée d’une cinquantaine de militants actifs. « Les militants écologistes sont contents de tracter leurs couleurs », confie Jérôme Gleizes, conseiller EELV de Paris.

Il a participé aux discussions parisiennes entre les partis de la majorité municipale — PS, EELV, PCF — et la France insoumise. Le but était d’aboutir sinon à des candidatures communes, au moins à des désistements. « La France insoumise n’a voulu discuter avec personne, raconte-t-il un brin amer. Il fallait absolument signer leur charte, ils ont voulu optimiser leur logo. Cette logique hégémonique est dommageable pour tout le monde. Pour EELV et le PCF, on n’a réussi à conclure qu’un seul accord : on s’est mis derrière Caroline de Haas contre Myriam El Khomri [1]. On aurait pu en faire plus, mais dans le chaos politique français et l’urgence, cela n’a pas abouti. »



Les militants qui accompagnent Cécile Duflot ce jour-là. À gauche, David Dobbels, le suppléant de Cécile Duflot.

Une situation qui nuit à tout le monde, selon lui. « Je le vois bien, je participe à tenir un bureau de vote. Quand les gens se retrouvent devant 26 bulletins, il y a un effet de sidération. Ils sont en colère et ne comprennent pas, cela fait augmenter l’abstention », pense-t-il. Le suppléant (PS) de Mme Duflot, David Dobbels, n’est guère plus optimiste. « C’est la première fois qu’il y a un risque qu’il n’y ait ni groupe PS, ni vert, ni communiste à l’Assemblée. Si on continue, les gens vont penser que la gauche est incapable de les protéger et vont se détourner. »


Mercredi 31 mai, devant le Monoprix de la rue du Faubourg-du-Temple


En cette heure de sortie des bureaux, il y a la queue aux caisses. Une dame franchit les portes coulissantes, les bras encombrés de sacs. « Je vous glisse le tract dans le sac ? » demande l’un des membres de l’équipe du soir. Hop, le « quatre pages » de présentation du programme est glissé entre les victuailles. « Nawel Oumer, une députée socialiste pour la circonscription », annonce le document. Mais le logo au poing et à la rose n’y figure pas. L’avocate et militante PS n’a pas été investie par son parti, victime de l’accord tardif entre le PS et EELV.



Nawel Oumer (PS, non investie), le 31 mai, rue du Faubourg-du-Temple.

« Les militants de la circonscription m’ont choisie fin 2016, j’ai été investie par le Conseil national du PS en décembre, détaille la candidate. Puis en février, il y a eu l’accord entre EELV et Hamon, et cette circonscription faisait partie de l’accord. Je n’avais plus l’investiture, alors la question a été posée de me retirer. Avec les militants, on a décidé que non. »

À ses côtés pour tracter, une dame toute de bleu vêtue, Danielle Hoffman-Rispal, députée de la circonscription de 2002 à 2012. « En 2007, j’étais la socialiste la mieux élue de l’Assemblée ! » rappelle-t-elle. En 2012, l’accord PS-EELV l’a obligée à laisser sa place à Cécile Duflot, elle n’étant que suppléante. Cette fois-ci, elle fait la campagne comme simple militante, derrière Nawel Oumer. « Je soutiens la jeune fille choisie par les militants, pas celle choisie par les accords d’appareil », explique-t-elle, tout en signalant que, malgré ses désaccords politiques avec Cécile Duflot, elle apprécie la personne.

La principale différence entre Nawel Oumer et les autres principaux candidats de gauche est qu’elle n’entend pas être une opposante radicale du gouvernement. « On verra en fonction des propositions. Par exemple, [Emmanuel Macron] propose de mettre un maître pour douze élèves en CP, dans les établissements en zone d’éducation prioritaire. C’est très bien. Après il faut voir comment ils comptent faire cela et en même temps baisser le nombre de fonctionnaires. »



Sur l’échec de l’union de la gauche, la candidate socialiste offre également un tout autre point de vue. Pour elle, c’était raté dès les primaires. « Le PS a proposé une primaire ouverte. Tous les partis de gauche pouvaient y défendre leur candidat »,, rappelle-t-elle.

« L’éclatement à gauche, oui ça me pose problème, ajoute Danièle Hoffman-Rispal entre deux programmes distribués. Mais l’union de la gauche, je ne sais plus ce que ça veut dire. À titre personnel, je ne me sens rien de commun avec M. Mélenchon. Et s’il n’a pas réussi à se mettre d’accord avec le PCF, ce n’est pas la faute du PS ! »

Les deux socialistes espèrent récupérer des voix à l’occasion des législatives, perdues à cause du vote utile à la présidentielle. Mais, elles se gardent de tout pronostic. « Rien n’a fonctionné comme prévu dans cette séquence politique, analyse Nawel Oumer. Alors je ne vois pas ce que l’on peut anticiper. »

Au moins un point sur lequel elles sont d’accord avec Jean-Luc Mélenchon. « La vérité vraie et ultime, c’est que personne n’arrive à chiffrer quoi que ce soit. Parce que les repères précédents ne fonctionnent pas », assurait-il le 30 mai dernier en conférence de presse à Paris. Le suspense va encore durer quelques jours.

[1] À noter que Caroline de Haas est aussi soutenue par Ensemble ! et Nouvelle Donne.
Lire aussi : Pas d’accord aux législatives entre la France insoumise et le PC

Source : Marie Astier pour Reporterre
Photos : © Marie Astier/Reporterre

« LE front républicain, C'EST MOI »

- CONTRÔLE TECHNIQUE -

Meetings de Marine Le Pen à Marseille (19/04/2017) et à Nice (27/04/2017)

LeRavi teste chaque mois un conseil municipal (mais pas que) en région Paca pour surveiller le fonctionnement de la démocratie locale.



Marseille, 19 avril. 18h40.

En haut de la Canebière, manifestation anti-FN : « No Pasaran ! »

19h00

A l'entrée du Dôme : l'Action française. Et le FNJ qui fait la retape pour la Vitrine de Marine : mugs, pin's clignotants... Sur le T-shirt d'un frontiste, le Che, sur l'avant-bras d'un autre, une croix celtique. Le Varois Frédéric Boccaletti ne veut plus nous parler : « Vous nous traînez dans la boue. Vous ne valez pas mieux que Charlie Hebdo. » Plus amical, le Toulonnais Amaury Navarranne : « Ça va ? Bientôt les vacances ? »

19h30

Zut ! Plus de piles dans l'enregistreur. Un collègue pince-sans-rire : « Y a autant de drapeaux que chez Mélenchon. » Une autre, fatiguée par la Marseillaise et les slogans : « La France aux abrutis, ouais ! »

20h17

Voilà Maréchal qui ouvre le bal : « Quel bonheur d'être à Marseille, une ville capable de fournir des élus aussi talentueux que Stéphane Ravier », tente-t-elle pour faire oublier que le sénateur-maire marseillais a failli être privé de discours. Elle n'en fustige pas moins le « quartier en sécession culturelle » du Conseil régional où elle officie, avec son « marché aux voleurs, son défilé de djellabas, de vendeurs de burqa ». Sa tante, c'est l'« ultime rempart » : « Certaines familles ont l'islamisme dans le sang, d'autres le patriotisme. »

20h31

Ravier embraye : « Vous pourrez dire "J'y étais" ! Malgré la menace terroriste. Malgré les crasseux d'extrême gauche ». Un peu de brosse à reluire pour son « amie si talentueuse Marion », un couplet sur Marseille et il devient aussi rouge que sa cravate est saumon pour éructer : « La France revient, elle est de retour ! Chez elle ! »

20h50

Sa robe est bleue, sa peau blanche, son chemisier rouge. Tandis qu'un militant beugle « Marine sauve-nous », celle-ci, rappelant d'entrée l'arrestation la veille de terroristes à Marseille, lance un « message d'insurrection nationale pour rendre la France à son peuple » : « Le Front républicain, c'est moi ! »

21h05

Pour elle, une « société multiculturelle est multi-conflictuelle » et le pays « un gigantesque squat ». Elle veut donc « restaurer les frontières », « fusionner la carte vitale et le titre d'identité », « réserver les allocations aux familles françaises », les « logements » et les emplois. Et « supprimer » l'Aide médicale d'Etat : « Laissez-nous essayer ! »

21h32

Après un tunnel sur le « patriotisme économique », c'est parti sur « le poison du terrorisme islamiste » et l'« armée de l'ombre » des « fichiers S », promettant leur « expulsion », la « déchéance de nationalité ». Et de s'attaquer « aux racines du mal » pour « tarir le vivier de fanatisme des banlieues ». La salle traduit : « Foutons-les dehors ! »

21h50

Ça continue avec la « tolérance zéro » contre la « criminalité jusque dans nos campagnes » ou la « haine anti-flic » avec la « présomption de légitime défense » pour ces derniers. Et la frontiste de finir sur « l'immigration ». Au menu ? Un « moratoire », la « fin du regroupement familial » et « l'expulsion de tous les clandestins ». Du « bon sens » pour que « la France reste la France ». Celle des « clochers », des « paysages éternels »...

22h00

La fille de Jean-Marie ricane : « Vous avez vu les drapeaux bleu-blanc-rouge remplacer les drapeaux rouges ? C'est grâce à nous ! Il faut transformer la victoire idéologique en victoire politique. Allons, enfants de la patrie, le jour de gloire va arriver ! » Ultime Marseillaise : « Et la presse, grogne une militante, elle chante pas ? » Un pin's clignotant Marine présidente tombe à nos pieds. Du talon, on l'éteint. A l'intérieur : deux piles...


Nice, 27 avril, 19h00

En face du palais Nikaia, manifestation anti-FN. Mais pas que : « FN-Macron, même combat ! »

19h32

Ravier, en voyant le Ravi : « Encore vous ? Jusqu'ici ?! » Les gros bras du FN font la chasse aux journalistes qui ne restent pas dans l'espace presse. Navarranne, lui, verrait bien « un ancien UMP », le Niçois Olivier Bettati, ouvrir le bal.

19h50

Un frontiste du coin s'invite dans l'espace presse : « Je viens surveiller les journalistes... » Mais surtout, comme le FNJ, occuper les sièges vides. S'il ne sait si un local de l'étape va ouvrir le meeting, quand on évoque l'ex-Identitaire Philippe Vardon, il s'étrangle.

20h25

Sa robe est bleue, son chemisier rayé, ses lèvres rouges : « Si je lance ma campagne du 2nd tour ici, ce n'est pas par hasard. Nice, ça signifie « celle par qui est arrivée la victoire »... » La salle entonne la Marseillaise : « Y a rien à faire. Ça me donne toujours la chair de poule... euh, d'émotion. »

20h35

Reprenant à son compte le « dégagisme » et faisant siffler Christian Estrosi, son credo, c'est haro sur Macron : « C'est notre antithèse. Cette élection est un référendum. Pour ou contre la France. » Et, promettant d'abroger la loi El Khomri, de se faire les crocs sur celui qui a « toutes les qualités pour être un bon banquier : il a le caractère et l'insensibilité ». Marine, c'est « l'humain d'abord » ?

20h45

Dont acte : « Je m'adresse à tous les Français. Je ne regarde pas votre origine, votre religion, votre orientation sexuelle ou votre couleur de peau. Ça ne m'intéresse pas. » Elle n'en glisse pas moins vers son thème de prédilection. Face à un Macron pour qui « l'immigration est une chance », elle assène : « Cette élection, c'est une consultation sur l'immigration. Stop ou encore ? »

20h55

Le frontiste, ça ose tout. Même citer - et faire applaudir dans un meeting du FN - « Jean Jaurès ». Pour elle, « la France de Macron n'est plus un pays mais un espace. Plus une nation mais une société multi-culturelle. Plus une République, une démocratie mais un régime oligarchique ». Et de s'ériger en défenseur de la « démocratie » et de la « République ». Un Messerschmitt passe...

21h04

Retour sur sa visite à l'usine Whirlpool. Et aux fondamentaux : « Je n'oublie pas que nous sommes dans une ville martyre. » Fustigeant son adversaire ayant déclaré, au lendemain du meurtre d'un policier, qu'il n'allait « pas inventer un programme contre le terrorisme dans la nuit », elle déroule celui hérité de son père : « expulsion des fichés S », « déchéance de nationalité » des binationaux, embauche de « 6000 douaniers, 15000 policiers, 50000 militaires », retour de la double peine et des frontières. Traduction : « On est chez nous ! »

21h16

Si, à l'évocation de « Trump » ou de la « Russie », la salle s'ébroue, ça flotte sur l'international. En particulier sur l'Europe et l'euro. Le matin même, l'UE estimait que, dans l'affaire des assistants parlementaires, le FN lui devait 5 millions...

21h25

Devant tout l'aréopage du FN, la « fille de » assure : « Je ne suis pas la candidate d'un parti. Mais d'une cause, le peuple. Et d'une idée, la patrie. » Se voyant « David contre Goliath », elle exhorte les électeurs à « savoir dire non », oscillant entre Hollande (« le changement reste possible »), Mélenchon (« dégagez-les »), Sarkozy à la sauce Jean-Paul II (« n'ayez pas peur »), et même... « De Gaulle » !

21h40

Double rasade de Marseillaise. Sourire carnassier de la candidate : « On n'arrive plus à se quitter. » En sortant du meeting, les militants font flotter ce drapeau qui, immense, s'affiche sur la façade d'un immeuble. Pas de doute, à Nice, ils sont déjà « chez eux ».

Sébastien Boistel

La candidate
Marine Le Pen (48 ans), présidente du FN, députée européenne, conseillère régionale. Officiellement, avocate. Mais surtout fille de...
Symbole : une rose bleue
Slogan : « Au nom du peuple » (1er tour), « Choisir la France » (2ème tour)
Score au 1er tour : 21,3 % au niveau national (2ème), 28,17 % en Paca (1ère devant Macron), 23,66 % à Marseille (2ème derrière Mélenchon), 25,58 % à Nice (2ème derrière Fillon).
Score au 2nd tour : ? % au niveau national ( ? ème), ? % en Paca (? devant Macron), ? % à Marseille (? derrière Mélenchon), ? % à Nice (? derrière Fillon).

Les meetings

Salles : le Dôme à Marseille (8500 places max), le Palais Nikaia à Nice (9000 places max)
Public : entre 4 et 6000 personnes
Nombre de soutiens : plusieurs dizaines
Nombre de journalistes : plus d'une centaine
Discours : 1h18 à Marseille, 1h05 à Nice
Temps de parole des soutiens : 30 min à Marseille, zéro à Nice


« Langue de Bois »

Prenez un maire. Un maire PS. En Corrèze, patrie des fromages et des présidents de la République. Et qui, dans le civil, travaille, ça ne s'invente pas, à la fondation Jacques Chirac ! Et cuisinez-le, en pleine période électorale, sur la question de la langue de bois. Faut dire qu'il l'aura bien cherché ! Accueillant depuis son élection en 2014 les Rencontres des médias libres dans sa ville, Meymac, cette année, les Pieds dans l'Paf ont lancé aux médias présents un défi : réaliser en 24 heures un sujet sur un thème imposé. Et c'est M. le maire qui l'a trouvé, en nous demandant de plancher sur... le bois !



Une création sonore réalisée par Pierre Isnard-Dupuy avec Sébastien Boistel, Thomas Desset et l'amicale participation de Thierry Borde, de Médias Citoyens.


Comment nous pourrions vivre si nous étions humains/vivants

Les élections « pestilentielles » récentes nous ont montré où nous en sommes parvenus dans le (dys)fonctionnement des institutions républicaines de la France, en matière de processus électoral. Certain.es, même dans les médias, attribuent cette dégradation majeure à l’épuisement de la Constitution de la Ve République, fondée en 1958. Il est curieux de remarquer, à ce propos, que ces mêmes médias n’ont pas été tendres pour le seul candidat qui avait inscrit en clair dans son programme ce changement de république vers une VIe. Ils n’ont pas même relevé cet aspect comme un point d’intérêt...

Pour notre part, nous pensons que le mal vient de plus loin, des fondements de la Ie République, née au XVIIIe siècle en France, en 1792, exactement. Nous n’allons pas développer dans cette introduction, nous vous renvoyons au texte qui suit pour les détails. Mais ce qui est né de la philosophie des Lumières est une démocratie « représentative », libérale, héritée de la tradition anglo-saxonne plutôt que de Rousseau ou de la tradition grecque avec la démocratie athénienne, directe. Un texte fameux de l’abbé Sieyès, l’un des principaux fondateurs de cette Ie République, est très éclairant, limpide. C’est donc cette démocratie représentative, libérale, où l’on est libre durant une journée pour être ensuite esclave du parlement pendant cinq ans, dit Rousseau, à propos du système britannique. Encore sommes-nous libres de voter ou pas pour tel.le ou tel.le candidat.e choisi.e par les institutions publiques et privées, les partis, les organisations « représentatives ». Et c’est ainsi que nous nous retrouvons, au second tour, comme cela est arrivé aux Etats-Unis l’année dernière, à devoir choisir entre deux candidats pour lesquels nous éprouvons les mêmes répugnances, même si pour des raisons différentes. C’est un non-choix produit par le système électoral en usage en France comme aux Etats-Unis, né au XVIIIe siècle dans les deux nations pour accompagner le développement du capitalisme alors en cours de théorisation économiste. Ce non-choix produit la pire des situations : celle de la peur entretenue où l’on est censé aller voter avec la baïonnette dans le dos, menaçante, ou la fameuse épée de Damoclès (encore un grec). Il faudrait, selon ces bons conseils (d’amis ?), appuyés, voter pour le candidat plutôt que la candidate, parce que lui est « républicain » et voter absolument, surtout pas s’abstenir. Mais Trump aussi est « républicain » et nous commençons à voir ce que cela veut dire pour lui. Et une majorité substantielle a élu, comme prévu, le candidat « républicain », ni de droite ni de gauche, au sourire quasi angélique. Un personnage étonnant, notre nouveau président. Un bonimenteur qui a réussi à être le premier dans les sondages sans avoir parlé de son programme, jusqu’au dernier mois de la campagne. Mais alors, la dynamique était lancée. Rien ne pouvait l’arrêter si ce n’est la dynamique comparable, située au contraire à la gauche de la gauche, celle-là même qui proposait le changement de république. Mais c’était impossible, trop de retard, entretenu par les médias dominants qui ont tout fait pour que le candidat "ni de droite ni de gauche" soit élu. Maintenant, après la nomination du gouvernement, l’analyse du profil des candidats investis pour les élections législatives par « En marche ! », faite par Médiapart, notamment, nous voyons bien ce qui se profile à l’horizon. Ni de droite ni de gauche, bien-sûr puisque c’est devenu, au fil des ans, la même politique dans une alternance quasi respectée entre le principal parti dit de gauche et celui de droite. Ne s’agit-il pas de ne pas prendre parti, de proposer la réconciliation des contraires pour le bénéfice de tous et toutes ? Rassembler la droite, la gauche, le centre dans une « union nationale » qui est en fait mondialisée. Une union faite pour se fondre avec les grandes économies dans le libéralisme mondialisé dominant. Notre nouveau président a ainsi réussi un tour de passe-passe magnifique et inquiétant, celui de rafraîchir le libéralisme dominant en faisant mine de rendre caduques les vieilles oppositions de projets de société, de les remplacer par un TINA (« il n’y a pas d’alternative ») souriant et enchanteur, qui date pourtant de Margareth Thatcher. Notre nouveau président est le premier à avoir autoriser la distribution libre, gratuite des drogues hallucinogènes, provoquant l’euphorie générale. Il ne fait rien que poursuivre la politique de ses prédécesseurs (qu’il a éliminés du jeu) en l’accentuant : plus de dérégulation administrative et sociale, plus d’économisme et de finances, plus de sécurité militaire et policière, moins de démocratie encore, avec les ordonnances, un 49.3 à répétition. Rien d’autre que la martingale imposée par la chancelière allemande à l’Allemagne et au reste des peuples européens. Un dessin du Canard Enchaîné le montre bien : on y voit notre nouveau président accourir à Berlin, auprès de la chancelière, annonçant fièrement « c’est mon premier jour », tandis qu’elle lui répond « c’est mon 4192e jour ». Ce dessin a le mérite de laisser entendre aussi ce qui pourrait nous « rassurer » rapport aux craintes qui commencent d’être formulées, d’une tentation de coup d’Etat de la part de notre nouveau président, qui le mettrait même à l’abri des scrutins factices de notre « démocrachie » pour dix ans, vingt ans. Pourquoi pas ? Il a une ambition sans doute égale à celle de Louis-Napoléon Bonaparte et un projet d’économie politique très voisin. Mais l’exemple de la chancelière allemande montre que ça peut durer aussi dans cette fausse démocratie. Longtemps, longtemps. Et c’est tout aussi inquiétant. Thatcher a duré longtemps aussi et Reagan, également. Ainsi, ce qui pourrait vraiment nous faire peur, au plus profond, serait de penser que notre nouveau président est bien plus dangereux que la candidate du FN. Elle aurait commencé par peiner vraiment à réunir une majorité à l’assemblée et, à la rigueur, à la suite de ses premières bêtises énormes, la Haute Cour, réservée au président de la République, serait peut-être entrée en action, comme la procédure d’impeachment semble se mettre en route aux Etats-Unis contre Trump. Avec notre nouveau président, pas de risque. Il s’achemine vers une longue carrière, puisque tout le monde est avec lui, tant la lutte des places a remplacé, pour beaucoup, la lutte des classes. Il réussirait la gageure de donner une seconde jeunesse à la Ve République et au néo-libéralisme en France pour une durée... indéterminée. Et nous ne pouvons nous empêcher de penser à tou.tes celles et ceux qui nous ont si expressément conseillé de voter Macron plutôt que de s’abstenir. Et nous les entendions encore, cette fin de semaine, dans deux manifestations importantes, conten.tes d’elles.eux-mêmes, parader et fanfaronner face à leurs troupes comme si elles.ils n’allaient faire qu’une bouchée de ce nouveau président jeune et innocent. Et le pire est que, peut-être, allons-nous finir par les détester quand nous allons devoir lutter, encore avec elles.eux, contre les décisions de notre nouveau président.

épisode 1

Ce texte est le premier d’une série consacrée à la démocratie pensée non pas seulement comme une forme de « gouvernance », un régime politico-administratif de gestion des rapports humains au sein d’une société, mais comme le besoin et le désir de groupes humains à certains moments de leur évolution et selon certaines circonstances dans leur quête de faire librement et égalitairement société. Une quête plutôt occidentale, si l’on en croit les origines historiques du phénomène. Il y eut quelques exemples dans l’histoire humaine en France, en Espagne, de manière parcellaire en Europe. C’est aujourd’hui plutôt au Proche-Orient, avec le Rojava, ou au Mexique, avec le Chiapas, qu’on en trouve des preuves vivantes. Il s’agit là d’expériences de démocratie directe, essentiellement à travers des assemblées populaires délibératives et décisives. Il existe ici ou là, en Europe, en France même, des îlots de pratiques démocratiques en cours, comme des poches de résistance au semblant démocratique régnant partout. Nuit Debout, Notre Dame des Landes... Une marche vers l’autonomie. Qu’est-ce que c’est ? C’est là le but de notre série, nous y reviendrons. Et tâcherons d’envisager ce que pourrait être l’autonomie ?

Cela a commencé dans l’histoire au VIème siècle avant JC, en Grèce, à Athènes, avec Solon. Cela a duré environ deux siècles. Cette démocratie athénienne, quoique très forte déjà, à sa naissance, comportait quelques exceptions de taille, cependant et méritait quelques améliorations. Se donner à chacun et à tous les citoyens le droit de participer à l’exercice du pouvoir à travers des assemblées délibératives est un fait d’importance, qui ne s’est pas retrouvé souvent dans le cours de l’histoire humaine. Et pourtant, accorder ce même droit également aux femmes et aux étrangers, après avoir supprimé l’esclavage, est une lutte qui dure encore dans nombre de pays plus de 2500 ans plus tard... Il n’est pas anodin que cette démocratie athénienne soit née en cette période, dans le même temps où des Grecs, de différentes cités indépendantes et souvent fédérées entre elles, inventaient la philosophie, la comédie et la tragédie, l’histoire, telles que nous les pratiquons encore aujourd’hui et faisaient rayonner les arts à leur acmé, en architecture, en sculpture, durant ce qu’on a appelé « le siècle de Périclès ».

Le titre de cette série est inspiré de celui d’une conférence* que donna William Morris, en 1884, en Angleterre, à une époque qualifiée d’ère victorienne (la reine Victoria Ière y règna de 1837 à 1901) où la Grande Bretagne était la 1ère puissance mondiale sous un régime politique extrêmement conservateur et dans une activité économique surdéveloppée au point qu’on appelle cette période Révolution industrielle, régnant sur un empire colonial immense et le plus grand marché commun de l’époque. William Morris était à la fois un artiste, architecte-décorateur, poète-écrivain très en vogue et un socialiste révolutionnaire. Il co-fonda la Ligue socialiste avec entre autres Friedrich Engels, en 1884. Six ans donc avant la parution de son œuvre majeure (la plus connue), un roman d’anticipation « Nouvelles de nulle part », une utopie située en 2102.

Dans ce premier volet, nous parlerons de l’histoire récente et du type de démocratie née au XVIIIème siècle, en France et aux Etats-Unis, parallèlement, la démocratie libérale, héritée des dites Lumières. Il s’agit de la démocratie dite « représentative » (de quoi ? pourrait-on dire), née avec le développement du capitalisme pour l’accompagner et selon une approche démocratique « libérale », anglo-saxonne, fondée sur les droits individuels, même si une liberté s’opposant à l’égalité (comme certain.es nous le serinent encore) produit nécessairement des effets collectifs désastreux. Ainsi le droit de propriété est-il considéré comme un « droit naturel » de l’homme, au terme d’une réflexion pouvant paraître spécieuse, du moins ambivalente.

Nous y reviendrons dans le cours du texte et plus tard, dans la suite.



"le jardin des délices" Jérôme Bosch

Vive les « pestilentielles » !!!

Nous vivons des moments historiques. Saurons-nous nous en apercevoir ? Saurons-nous faire remonter ce sentiment prégnant, vital, jusqu’à la conscience ? Une conscience claire et difficile, éventuellement douloureuse, du genre de celle d’Hanna Arendt dans « Condition de l’homme moderne » ou « la Crise de la culture » ou encore de Simone Weil dans « l’Enracinement ».

Oh ! Ce sont de tout petits moments, en vérité. Qui s’accumulent. Et il n’est pas sûr que cela ne grandisse jusqu’à se hisser à un phénomène historique. Celui d’une prise de conscience d’une large partie de la population, bien qu’elle reste encore impuissante. Nous allons voir pourquoi.

Cette campagne électorale pour les « pestilentielles » est un désastre. Tout y fait la démonstration, jusqu’à l’absurde et l’obscénité, de l’inanité du processus électoral en fin de course dans cette Vème République. De bonnes âmes, à droite à gauche, suggèrent qu’il ferait bon changer de république et, quitte à reprendre une vitesse adéquate, passer la VIème. Et arrêter de faire vrombir le moteur, inlassablement. 1958 : une constitution faite pour un « dictateur » au sens romain du terme (un général !) au sortir d’une IVème au régime parlementaire, empêtrée dans une guerre civile qui ne dit pas son nom. Un régime semi-présidentiel apparaît donc en France en cette fin des années 1950. Une constitution sur mesure pour un général à qui on demande de mettre fin à cette guerre, lui qui a, au contraire, poursuivi la Seconde Guerre mondiale en 1940, après l’étrange défaite des armées françaises et britanniques face au blitzkrieg allemand.

Fêterons-nous, l’année prochaine, comme cette année pour la naissance de l’Europe (Traité de Rome, communauté économique européenne, « marché commun »), le 60ème anniversaire de la naissance de la Vème ?

On pourrait le croire puisque les deux ou trois seuls candidats qui parlent d’une VIème sont pour les médias et les « décideurs » programmés pour perdre.

Un désastre, disions-nous, pour cette élection présidentielle. Nécessairement, c’est là que le bât blesse le plus. Les conditions d’exercice de la démocratie et les conditions de sa réception ont évolué. Une république n’est pas autosuffisante pour satisfaire nécessairement les besoins vitaux et les droits naturels des peuples. Le régime présidentiel est un peu l’arbre cachant la forêt.

Bien entendu, il est désastreux aujourd’hui de donner à un homme (ou une femme), quel(le) qu’il(elle) soit, autant de pouvoirs à la fois, sans presqu’aucun contre-pouvoir, puisque la destitution du (de la ) président(e) ne peut être mise en œuvre que par la Haute Cour, réunion du Parlement (le Bureau de la Haute Cour est constitué de 22 membres, choisis en tenant compte des forces en présence dans les deux assemblées) : « le président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». La révision constitutionnelle de 2007 a ainsi séparé la Haute Cour (réservée au président) et la Cour de Justice de la République, dont beaucoup s’accordent à dire qu’il faut la supprimer, qui s’occupe, elle, des membres du gouvernement. N’a-t-elle pas récemment condamné juridiquement une ministre en la dispensant de peine ? Une présidente du FMI ! Justement...

Bien entendu, il est difficile d’imaginer une présidente du FN devenir présidente de la République Française, sans même parler de son programme. A relever simplement qu’il n’est pas démocratique ni constitutionnel... mais tout-à-fait xénophobe et même raciste...

Bien entendu, il est difficile d’imaginer un président des « Républicains », empêtré dans une sinistre affaire d’emplois fictifs, mis en examen et poursuivant quand même sa campagne électorale, contrairement à ce qu’il avait annoncé précédemment. Imagine-t-on le Général De Gaule regarder son portable au moment de discuter avec Mitterand, en 1965, ce même Mitterrand consulter ses sms lors des débats avec Giscard et Chirac, les « yeux dans les yeux » ? Par chance pour eux, il est vrai, le portable n’existait pas.

Bien entendu, il est difficile d’imaginer un banquier d’affaires millionnaire, dilettante et beau parleur, sans programme et sans vision des temps que nous vivons, ignorant totalement la question écologique, fondamentale, de ce possible dernier siècle de l’humanité ?

Bien entendu, il est difficile d’imaginer que les deux candidats mis en concurrence par le jeu des institutions (notamment des partis), représentant officiellement la dite gauche (gauche du centre et gauche de la gauche) puissent accéder au second tour. Pourtant, l’un des deux a quelques propositions intéressantes et quelques analyses judicieuses de la situation. Lui a perçu, semble-t-il, l’importance capitale du phénomène écologique (le réchauffement climatique étant le moteur le plus puissant et le plus invisible, mais aussi la pollution, l’épuisement des ressources, de la biodiversité, la « défiguration » du monde) en ce XXIème siècle, qui menace d’être le dernier pour nous.

Bien entendu, il est clair que les médias dominants ont choisi leur camp et (à part quelques péripéties ou blagues favorables au candidat de ladite « France insoumise »), ils s’acharnent à parler favorablement du seul candidat qui pourrait leur convenir puisqu’il n’a d’autre projet que de ne rien changer, tandis qu’ils s’acharnent négativement sur l’irréalisme, le manque de sérieux d’un candidat qui se dit « hors système » (mais ça commence à en faire des candidats « hors système », même celui des Républicains ! Si si...)

De même, alors que la plupart des journalistes et des experts ont remis en question le bien-fondé des sondages, il n’en apparaît pas moins d’un tous les deux ou trois jours. Et, naturellement, c’est pour annoncer un duel au second tour entre la présidente du FN, vantant les vertus économiques et sociales de la xénophobie et du racisme (préférence nationale) et l’homme d’affaires dilettante qui n’a rien à proposer, hormis la poursuite du « business as usual », credo du libéralisme, le sien personnel étant « devenez milliardaire ! ».



"L’escamoteur" Jérôme Bosch

Du côté des Atlantes...

Ça ne vous rappelle rien ? Cherchez bien, du côté de l’Alliance atlantique. Malgré le décalage horaire, plutôt en sa faveur, la France est toujours à copier ce que font les Etats-Unis. La Déclaration des Droits de l’Homme, par exemple, vous pensez qu’elle est née durant les journées révolutionnaires de 1789 ? Certainement oui, pour une part, mais aussi à partir de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis de 1776.

« Devenez milliardaire », ce pourrait être le credo du nouveau président des Etats-Unis. C’est sans doute la première fois qu’un homme d’affaires milliardaire accède au poste suprême. Il y a toujours eu des présidents proches ou représentants des lobbies, comme Bush ou Reagan, mais c’est la première fois que le conflit d’intérêts est direct, intime, même. Le nouveau président continue de traiter des affaires en même temps qu’il tente de détricoter l’ensemble de lois qu’a pu mettre en place son prédécesseur. Il tente de défaire l’Obamacare et propose de construire un mur séparant les Etats-Unis du Mexique, mais il s’occupe aussi de faire de la pub pour les cosmétiques de sa fille.

Il n’hésite pas à nommer secrétaire d’Etat Tillerson, le PDG d’Exon, l’une des plus grosses sociétés au monde, représentant le lobby des énergies fossiles. Et même les contre-pouvoirs états-uniens ne remettent pas en cause cette nomination. Bien entendu, Tillerson n’est plus le PDG d’Exon dès lors qu’il devient secrétaire d’Etat, mais n’est-ce pas étrange ?

D’autres élections présidentielles états-uniennes ont pu être controversées auparavant, mais celle-ci ne concentre-t-elle pas la quintessence de l’absurdité et de l’obscénité ? Parti démocrate et médias dominants se sont entendus pour éliminer de la « course à la présidence » le seul candidat un peu « hors système », qui proposait un peu de le modifier, le sénateur-maire de Burlington, capitale de l’Etat du Vermont. Et finalement, les électeurs.trices se retrouvent à devoir choisir entre la crème de « l’establishment », femme d’un ancien président et vendeuse de conférences à des organisations ultra-libérales, d’un côté et de l’autre un homme d’affaires milliardaire raciste et belliqueux qui se dit « hors système ». Et c’est ainsi que les « petits blancs » pauvres du Kentucky et d’ailleurs ont voter massivement pour cet histrion en oubliant qu’il s’agit d’un milliardaire. Et ce milliardaire s’est bien moqué d’eux.

Là-bas comme ici, jamais lors d’une élection présidentielle, nous n’avons à ce point entendu parler du système et vu des gens se prétendant en dehors ou voulant s’en démarquer. Jusqu’à l’un d’entre eux qui, comme le dit un dessinateur du Canard Enchainé, se situe même hors du système solaire ! Qu’arrive-t-il donc au Système pour susciter autant de doutes et de mépris ?

Curieusement, ce sont là deux des plus anciennes républiques « nationales », dites démocratiques. Elles datent du XVIIIème siècle et des Lumières, parait-il, qui auraient succédé aux ténèbres du Moyen Age. Elles ont toutes deux inventé la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, devenue universelle à l’initiative de l’ONU en 1948.

Il y a peu, c’est la Grande Bretagne, ayant opéré sa révolution en 1689 et imposé une constitution à la monarchie, qui a décidé de son retrait de la Communauté européenne et ce retrait devrait entrer en vigueur peu de temps à la suite de cet anniversaire du Traité de Rome, qui confirmait et amplifiait celui de Paris, six ans plus tôt, la Communauté européenne du charbon et de l’acier devenant la Communauté économique européenne. Il y a peu, encore, un peu plus tôt, c’est la Grèce qui envisageait de quitter l’Europe, à qui les puissances européennes ont fait savoir que ses élections législatives et présidentielles comme son référendum, elle pouvait en faire des confettis, l’exercice légal et souverain d’une démocratie au sein de l’Europe n’ayant aucune valeur d’échange ni d’usage en regard des traités, comme celui de Lisbonne, qui a confirmé le Traité constitutionnel européen de 2005, refusé par les peuples français et néerlandais dans un référendum. La Grèce, oui, la Grèce, qui certes n’est plus ce qu’elle a été, mais est tout de même le berceau de la démocratie, l’endroit du monde alors connu où elle a été inventée, entre le VIème et le Vème siècles avant J.C., plus précisément à Athènes, capitale de la Grèce contemporaine.

Qu’est-ce qui arrive donc avec ces quatre grandes nations démocratiques, dont trois font partie de l’Europe, dont on commémore une étape importante le 25 mars ? Qu’est-ce qui arrive en Europe aujourd’hui, où la montée en puissance des droites extrêmes, dans plusieurs pays, ravivent le souvenir de la montée des périls des années 1920 et 1930 ?

Serait-ce lié à ces traités dont les dirigeants européens expliquent aux Grecs qu’ils l’emportent sur la valeur d’échange de l’exercice démocratique pourtant souverain de leur nation ? Serait-ce lié aux nouveaux traités en cours de négociation, TAFTA et CETA (respectivement entre Europe d’un côté et Etats-Unis ou Canada de l’autre), à propos desquels on apprend qu’ils permettraient à des entreprises transnationales d’attaquer en justice des Nations parce qu’elles édicteraient des lois ou règlements qui gêneraient leur activité et mettraient en danger l’expansion de leur marché et de leurs profits ? Et cela à travers des tribunaux d’arbitrage privés qui n’auraient pas de légitimité démocratique, comme celui qui décida du règlement du conflit entre M. Tapie et l’Etat Français dans la liquidation d’Adidas, pour l’invalidité duquel la présidente du FMI, alors Ministre des Finances du gouvernement français, fut condamnée mais dispensée de peine ?

Serait-ce lié au fait que le référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, donnant la victoire au NON en France et aux Pays-Bas fut bafoué et annulé, en quelque sorte, par le vote, 3 ans plus tard, dans les deux pays, du Traité de Lisbonne (copie conforme du Traité de 2005) par une majorité parlementaire ? Et donc la décision majoritaire des deux peuples effacée par les gouvernements et parlements, c’est-à-dire les prétendus représentants de ces deux peuples ?

Serait-ce lié encore au fait que ces divers traités sont négociés et signés au niveau européen, engageant près de 400 millions de citoyen(ne)s par des représentants non élus et non choisis par ces citoyens composant les 28 nations que comporte la Communauté européenne ? Choisis par qui, donc ? Choisis par leurs pairs, c’est-à-dire des élus, des fonctionnaires, des politiciens. Ce serait donc ça qu’on appelle « oligarchie » ? Un petit groupe de gens qui se partagent, inlassablement, en alternance ou en concomitance, les rênes du pouvoir ? Une minorité disposant de tous les pouvoirs faisant croire, grâce à ces pouvoirs, qu’elle réunit la majorité derrière elle ?

Alors quoi, la négociation de ces traités serait donc faire entrer le loup dans la bergerie, le cheval de Troie dans la forteresse pour garantir cette fameuse « concurrence libre et non faussée » aux entreprises transnationales comme Monsanto ou Bayer !

Est-ce que tout ça pourrait expliquer, pour une part, le désamour des citoyens français pour la politique, en tout cas pour celle des élections, puisqu’on nous parle régulièrement depuis quelques années et singulièrement à propos de ces « pestilentielles », du plus grand parti de France, celui des abstentionnistes ? Vraiment ? Pourrait-il y avoir un lien de causalité ?

Au point qu’on met en cause, dans les médias dominants, de plus en plus, ces abstentionnistes, sous-entendant ou même affirmant que le « vote » abstentionniste pourrait être le tremplin pour propulser la présidente du FN à la présidence de la République.

Ainsi les médias nous culpabiliseraient sans vergogne de nous abstenir, nous, citoyens qui ne nous sentons pas représentés par les candidat(e)s à ces élections « pestilentielles » ni même par le système électoral qui les met en scène/en selle.



"Ecce homo" Gielis Panhedel (disciple de Jérôme Bosch)

Finissons-là. Et même achevons-la, cette démocratie représentative.

Celle qui nous donne à choisir un châtelain très british qui se révèle être un personnage balzacien, hanté par le pouvoir et l’appât du gain (celui des « et alors ? » pour toute réponse aux absurdités d’emplois probablement fictifs, des « je ne peux pas mettre de l’argent de côté » quand on vit dans un château de 14 pièces avec une rémunération mensuelle de 24000 €, du « cabinet noir » du président en exercice, des frais de mariage avancés à sa fille puis remboursés par celle-ci, des costumes Berluti ou Arnys et des montres de prix, des voitures de sport prêtées par des amis fortunés, des affaires de conseil avec Fimalac et Axa, la plus grosse société d’assurance au monde, vis-à-vis de l’Europe mais aussi en lien avec le projet de démantèlement de la sécurité sociale, remplacée à moitié par des assurances privées)...

Balzac, disions-nous. "La Maison Nucingen" nous donne à voir, à travers l’épopée de la Banque (où intervient entre autres la banque Rothschild), le spectacle de l’argent-roi dans la démesure et la manipulation. De ce temps, date aussi la formule accordée à Guizot, Ier ministre de Louis-Philippe Ier, éliminé par la Révolution de 1848, « Enrichissez-vous ! ». Même si elle est semble-t-il tronquée, combien fait-elle écho au « devenez milliardaire » de Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique !

Un désastre, disions-nous, pour cette élection présidentielle. Nécessairement, c’est là que le bât blesse le plus. Les conditions d’exercice de la démocratie et les conditions de sa réception ont évolué. Une république n’est pas autosuffisante pour satisfaire nécessairement les besoins vitaux et les droits naturels des peuples. Le régime présidentiel est un peu l’arbre cachant la forêt.

Faisons un petit détour par l’histoire de cette démocratie représentative, libérale, née avec les Lumières et les Révolutions états-unienne et française pour accompagner le développement du capitalisme, dans la lignée de sa théorisation économiste.

Lumière sur les Lumières ?

Les Lumières du XVIIème et du XVIIIème siècles européens ont produit Mondeville, Adam Smith et Ricardo autant que Spinoza, Locke, Kant, Rousseau et l’Encyclopédie, Newton et Linné ainsi que la Physiocratie. Ce sont là les fondements théorique et économiste du capitalisme, né empiriquement par la conjonction entre les banques et le commerce au XVIème siècle. Dès le XVIIIème siècle et même avant, la liberté individuelle est liée à la propriété, la libre entreprise et au libre échange. On en sait aujourd’hui les conséquences. Les Déclarations des droits de l’homme et du citoyen, en France comme aux Etats-Unis, intègrent la libre propriété. Les Fermiers Généraux, en France, sont de grands propriétaires, les physiocrates des propriétaires terriens de la Noblesse, forcément pas du Tiers Etat. La constitution de 1791, contrairement à celle de 1793, valorise la propriété, au point que celle de 1793 ne sera jamais appliquée. Et lorsque la Conspiration des Egaux émergera, en plein thermidor, avec les propositions de Gracchus Babeuf, commissaire à terriers en Normandie, de revenir aux « communaux » (terres agricoles publiques pouvant être cultivées par tout un chacun), disparus en France comme en Grande Bretagne, il sera prestement guillotiné, comme tant d’autres. Et c’est Bonaparte, le petit caporal expansionniste, devenu général évidemment, qui se chargera de diffuser les idées de la Révolution Française en Europe. Dans cette propagande militaire, pas de « communaux », pas de partage des terres par celles et ceux qui les travaillent.

Mais les Lumières, c’est une effervescence intellectuelle, philosophique, scientifique, économique qui a pu produire des pensées, des sentiments contradictoires, au moins ambivalents.

Si John Locke formalise le premier la notion de propriété présentée comme un droit naturel :

« Tout homme possède une propriété sur sa propre personne. À cela personne n’a aucun Droit que lui-même. Le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, nous pouvons dire qu’ils lui appartiennent en propre. Tout ce qu’il tire de l’état où la nature l’avait mis, il y a mêlé son travail et ajouté quelque chose qui lui est propre, ce qui en fait par là même sa propriété. Comme elle a été tirée de la situation commune où la nature l’avait placé, elle a du fait de ce travail quelque chose qui exclut le Droit des autres hommes. En effet, ce travail étant la propriété indiscutable de celui qui l’a exécuté, nul autre que lui ne peut avoir de Droit sur ce qui lui est associé. » (Deuxième traîté du gouvernement civil 1690)

]ean-Jacques Rousseau, lui, considère la propriété privée comme la source de bien des maux de l’humanité : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : « Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ! » Discours sur l’origine de l’inégalité I755

Moyennant quoi, malgré l’influence réputée de Rousseau sur la Révolution Française, l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 classe le droit de propriété parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme ». Ce qui conforme assez combien c’est, in fine, une révolution « bourgeoise ». L’article 1 du protocole additionnel de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales consacre aussi ce droit au niveau européen.

Pour autant, si, pour les auteurs de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme pour ceux de la déclaration universelle des droits de l’homme, la propriété est un droit naturel, pour certains, « la propriété, c’est le vol », selon la célèbre formule de Proudhon dans Qu’est-ce que la propriété ?

Selon l’analyse anarchiste proudhonienne, il ne peut y avoir de propriété sans un système légal perfectionné. Ainsi, loin d’être une évidence naturelle de l’individu, la propriété est une relation sociale, interindividuelle, qui ne peut être justifiée dans son principe ou son origine. Il n’y a alors pas de différence de nature entre la contrainte exercée par un « propriétaire » et celle exercée par un « voleur », seulement une différence de forme. Ce serait alors l’usage d’un bien qui créerait le droit de possession, et non la propriété qui permettrait d’user et d’abuser de ce bien. D’autant que les différences sociales s’amplifient naturellement au fil des générations, notamment dans un système social qui applique le droit d’aînesse, ce qui concentre les droits et les propriétés sur une seule tête.

À l’opposé de cette vision, les libéraux soutiennent que la propriété est nécessaire à la liberté de l’individu, qui permet d’opposer à l’État et à la société le droit de poursuivre ses propres fins. Proudhon lui-même précisa à plusieurs reprises sa position et justifia en particulier la propriété individuelle (limitée dans son esprit à la possession) par la protection qu’elle offre contre l’État. En Chine, pays qui a légiféré une loi le 16 mars 2007 entendant garantir la propriété privée, même si la terre n’est pas concernée, des paysans revendiquent la propriété privée de leur terre contre le pouvoir arbitraire de l’État qui souhaite les exproprier pour construire des hôtels. Pour Hernando de Soto, un économiste libéral péruvien formé en Suisse et au Gatt, c’est l’absence de système juridique protégeant la propriété qui empêche les habitants des pays pauvres de participer à l’activité économique et de s’intégrer dans la mondialisation capitaliste. Pour de Soto, « La propriété, ce n’est pas seulement jouir d’un bien, ça c’est l’idéologie ’petite-bourgeoise’. Elle est avant tout un système de droits et de devoirs. ». Selon un sociologue états-unien, ce serait le « gourou planétaire du populisme néolibéral ».

Quant à la représentation parlementaire et à sa représentativité démocratique du corps social constitué par les citoyens, la mise en confrontation des propos de Rousseau dans le Contrat Social (Livre III chapitre XV) et de ceux de Sieyès, pourtant auteur du fameux libelle "Qu’est-ce que le Tiers-Etat ?" est limpide :

« la souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. »

Rousseau plaisantait volontiers aussi les Anglais et leur fausse démocratie : "Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien", J.J. Rousseau, extraits du Contrat social, livre III, chapitre XV

« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. » (Discours du 7 septembre 1789, intitulé précisément : « Dire de l’abbé Sieyès, sur la question du veto royal : à la séance du 7 septembre 1789 » cf. pages 15, 19…)

Ne pouvons-nous voir clairement à l’aide de cette juxtaposition combien les deux hommes s’opposent sur cette question et combien la réponse donnée par certains révolutionnaires est consciente de l’opposition entre représentation et démocratie ? C’est d’autant plus vrai que Sieyès traversa toute la Révolution sans encombres pour finalement fonder le Consulat (dont il était un des trois membres) avec Bonaparte et préparer ainsi l’avènement de l’Empire. Ainsi peut-on voir, à l’envi, combien cette révolution est bourgeoise et anti-populaire. Et l’histoire officielle de notre belle France qui ne se lasse pas de répéter combien notre chère Révolution française doit à J.J. Rousseau...



"La charrette de foin" Jérôme Bosch

Les origines de la démocratie athénienne : la crise de la cité grecque.

Poursuivons ce détour et voyons comment la démocratie athénienne nait au VIème siècle avant JC.

Au VIème siècle avant JC, les cités du monde grec sont confrontées à une grave crise politique, résultant de deux phénomènes concomitants : d’une part l’esclavage pour dettes, liant situation politique et situation financière, touche un nombre grandissant de paysans non propriétaires terriens : l’inégalité politique et le mécontentement sont forts dans le milieu rural ; d’autre part le développement de la monnaie et des échanges commerciaux fait émerger une nouvelle classe sociale urbaine aisée, composée des artisans et armateurs, qui revendique la fin du monopole des nobles sur la sphère politique. En réponse, de nombreuses cités modifient radicalement leur organisation politique. À Athènes, un ensemble de réformes amorce un processus débouchant au Ve siècle av. J.-C. sur l’apparition d’un régime politique inédit : une sorte de démocratie pour les hommes libres mais encore avec l’esclavage. Le philosophe Jacques Rancière estime que « la démocratie est née historiquement comme une limite mise au pouvoir de la propriété ». C’est le sens des grandes réformes qui ont institué la démocratie dans la Grèce antique : celle de Dracon qui réforma la justice, celle de Clisthène au VIe siècle av. J.-C., instituant la communauté politique sur la base d’une nouvelle redistribution territoriale qui cassait le pouvoir local des riches propriétaires ; celle de Solon interdisant l’esclavage pour dettes. Ne pas oublier le lien essentiel entre démocratisation économique et sociale (décrite ci-après) et démocratisation politique.

Alors que l’écart entre les riches aristocrates et la classe populaire se creusait, Athènes sombrait dans une crise sociale. La ville était dominée par les « eupatrides », c’est-à-dire les aristocrates qui détenaient alors les meilleures terres et contrôlaient le gouvernement. Les plus pauvres, quant à eux, tombaient facilement dans l’endettement voire dans l’esclavage faute de moyens. Toutes les classes sociales se tournèrent vers Solon pour remédier à la situation afin d’éviter la tyrannie. Il est élu archonte pour 594-593 à cet effet. L’esclavage pour dettes réduisait fortement le nombre des hommes libres, et alimentait les conflits.

Il abolit donc l’esclavage pour dettes, et affranchit ceux qui étaient tombés en servitude pour cette raison. Il fit une réduction de dettes privées et publiques, et affranchit les terres des "hectémores" de redevances. Il ne fit pourtant pas de réforme agraire, ne redistribuant pas la propriété des terres, bien que les pauvres l’aient attendu.

Concernant les réformes politiques, il mit en place le tribunal du peuple, l’Héliée. Tous les citoyens eurent accès aux jurys. Les jurys étaient constitués par tirage au sort. Le tribunal est principalement une cour d’appel. Aristote considère qu’il était le lieu du contrôle des magistrats par le peuple. Solon fit une autre réforme d’importance : il étendit le droit de défense et d’accusation à n’importe quel citoyen. Il a aussi écrit un nouveau code de lois, qui concernent ce que les catégories modernes nomment droit privé, droit criminel et procédure légale.

Nous pouvons voir comment les conditions d’apparition de la démocratie athénienne (démocratie directe, quoiqu’ incomplète) sont proches de nos conditions de vie actuelle, l’esclavage mis à part. Mais l’esclavage est aujourd’hui économique, social et culturel, sinon juridique et politique. Et même ne sommes-nous pas aussi esclaves des processus électoraux de cette démocratie représentative ?

Ce détour fait par les liens étroits qui, dans l’histoire, unissent démocratie et économie comme deux réalités et conceptions étroitement interdépendantes et « marchant » ensemble, revenons à nos élections pestilentielles, à l’opposé de nos « affinités électives » goethéennes si lumineuses.

Après ce premier tour des « pestilentielles », où ce sont deux des pires candidats qui s’affrontent, l’une proposant une non-démocratie xénophobe et autoritaire, raciste et dirigiste, l’autre proposant une dictature molle, celle du capitalisme et du productivisme, privatisant l’ensemble de la société et proposant de gouverner immédiatement par ordonnances pour détricoter encore le code du travail, il est clair que le citoyen, s’il prétend voter et élire l’un.e des deux, est pris en otage par le faux système démocratique à bout se souffle de la Vème république ainsi que de la démocratie représentative. Même si l’une des bonnes semi-surprises de ce scrutin est de voir éliminés dès le premier tour les tenants des deux partis principaux de la gouvernance depuis des décennies, se partageant la direction des affaires en alternance, il reste que le choix du second tour est aussi catastrophique que celui de l’élection états-unienne, avec deux faux candidats « hors système ». Nous avons pu vérifier, par ailleurs, avec la défaite du candidat de « la France insoumise » que le système ne permet justement pas de préparer en son sein la sortie de celui-ci, à savoir la possibilité d’une alternative plutôt que d’une alternance.

Seul le Front social revendique vraiment de renvoyer dos-à-dos les deux candidats comme représentant la peste et le choléra. Pas question de voter pour le FN, bien entendu mais pas non plus pour le mouvement « En marche ! » qui soutient l’ancien ministre de l’Economie ayant promulgué les 3 lois du quinquennat Hollande les plus funestes pour les travailleurs.ses et les plus avantageuses pour les patrons.

Tous les autres appellent à faire barrage au FN, même quand ils ne conseillent pas d’utiliser le bulletin Macron. Et la plupart, à droite, à gauche, au centre, appellent distinctement à voter pour l’ancien ministre et l’ancien banquier. Pas moyen, selon eux.elles, de s’abstenir ou voter blanc. Il faut absolument faire gagner Macron. On nous refait le coup de 2002, celui de la peur du loup, qui donna 80% de votants à Chirac, un score quasi soviétique.

Pour autant, même si nous sommes effectivement inquiets, nous n’allons pas nous laisser berner si facilement cette fois. Ce ne sont pas les abstentionnistes qui risquent de faire élire Le Pen, ce sont d’abord ses électeurs puis toute l’oligarchie des gens bien nés et diplômés qui entretiennent le mythe démocratique tout en développant toujours plus les puissances d’argent et l’accumulation du capital entre les mains de quelques-un.es (une oligarchie). Certains parlent de « démocrature », on pourrait dire aussi bien « démocrachie », partout.

Cette société démocratique libérale nous satisfait-elle ? Qu’arrive-t-il partout en Europe ces dernières années ?

L’extrême droite progresse dans presque tous les pays, de manière inquiétante. Et des droites extrêmes en viennent à gouverner, ici ou là, avec des propositions ou pratiques très proches de celles de l’extrême droite. L’Autriche a récemment beaucoup craint de voir élu un candidat d’extrême droite à la présidence de la République, quand bien même cette fonction serait honorifique mais le FPO, le Parti de la liberté d’Autriche, est au Parlement depuis 1956 et a connu deux périodes de fort tonnage, en 1999 avec 27% des suffrages aux élections législatives pour chuter dans les années 2000 et remonter à partir de 2008 à 18% et en 2013 jusqu’à 20% aux législatives. En Grèce, le parti néo-nazi Aube Dorée obtient 7% des voix aux législatives et 18 sièges au Parlement sur 300. Elle est une composante importante de la vie politique en Italie avec la Ligue du Nord depuis des années.

Les pays du nord de l’Europe sont très touchés par le phénomène. Au Danemark, depuis 2001, le pays est gouverné par le Parti libéral et le Parti populaire conservateur avec l’appui des parlementaires du Parti populaire danois (Dansk Folkeparti en danois), formation nationaliste et populiste connue pour ses prises de positions très dures en matière d’immigration. Lequel a obtenu 37 sièges de députés avec 21% des voix en 2015. En Finlande, longtemps absente du paysage politique national, l’extrême droite est entrée au Parlement avec le parti Vrais Finlandais en 1999. En 2015, ils détiennent 38 députés sur 200, et font leur entrée au gouvernement dans une coalition dirigée par le centriste Juha Sipilä. En Norvège, Le Parti du Progrès (FrP), représenté au Parlement depuis les élections législatives de 1973, est devenu avec le scrutin de 2005 le deuxième parti du pays. Avec 23 % des suffrages exprimé aux élections législatives, le FrP s’est imposé comme le parti européen d’extrême droite le mieux représenté dans son pays. Lors de celles de 2013, le parti a récolté 16,3 % des suffrages. Le parti est pour la première fois entré au gouvernement, dans une coalition avec le parti conservateur. La présidente Siv Jensen est nommée ministre des Finances. En Suède, un parti radical, les Démocrates de Suède, a pris la tête du mouvement. En progression constante, les DS ont déjà fait leur entrée dans plusieurs conseils municipaux du sud du pays, où leurs électeurs sont les plus nombreux. Avec 2,9 % aux élections générales de 2006, les Démocrates suédois ont échoué de peu à obtenir une représentation parlementaire. La progression de l’extrême droite suédoise s’est concrétisée en septembre 2010 lors des élections générales, le parti a obtenu le score de 5,70 % des votes exprimés ce qui lui permet d’investir 20 sièges au Riksdag. Aux élections législatives de 2014, ce parti a récolté 13 % des suffrages.

En Tchèquie et en Slovaquie, il y a deux partis dont l’un a obtenu 6,9 % des suffrages et 14 élus lors des législatives de 2013. L’un est présent au Parlement depuis 1990. En 2006, avec 20 députés au Parlement, il est même entré dans la coalition gouvernementale. Un autre, fondé en 2010, compte 14 députés sur 150 au Parlement.

En Belgique, le Vlaams Belang, parti nationaliste flamand recule depuis 2009 et se fond dans le nouveau parti nationaliste N-VA, de droite traditionnelle. En Hongrie, les partis d’extrême droite viennent conforter la droite traditionnelle de Viktor Orban au pouvoir sur les questions d’immigration et des minorités juives et tziganes. En Pologne, en fait, c’est la Plateforme Civique qui travaille avec le PIS, le parti conservateur Droit et Justice de Kascynsky, pour refuser le droit à l’avortement, le PACS, le droit à l’euthanasie... et soutenir les valeurs traditionnelles catholiques et familiales.



"la tentation de Saint-Antoine" Jérôme Bosch

Maintenant, si nous admettons l’essoufflement évident de cette Vème République, irons-nous jusqu’à envisager sa fin et son remplacement par un autre régime ? Auquel cas, lequel ? Et dans quelles conditions ?

Voyons, pour commencer, comment les changements de république sont-ils intervenus en France ?

Nous en sommes à la cinquième, née en octobre 1958, sur mesure, pour donner, quasiment, les « pleins pouvoirs » au Gal De Gaulle, appelé à la rescousse suite à un putsch de militaires français, par le président du Conseil de la quatrième, un régime dit parlementaire, empêtrée dans une guerre de (dé)colonisation, commencée en 1954, qui ne voulait pas dire son nom avec l’Algérie, département français présentant la particularité d’afficher deux catégories de citoyens, les Français et les autochtones. Rappelons que cette même quatrième république a aussi produit la guerre d’Indochine, elle-même achevée par une défaite militaire à Dien Bien Phu, en 1954. C’est la résurgence d’un régime dit semi-présidentiel, sachant que la constitution de 1958 est votée par les Français par référendum (alors que la constitution de la 4e ne l’y autorisait pas) et qu’une autre étape est franchie avec l’adoption en 1962, par référendum aussi, de l’élection au suffrage universel direct du président de la République. La première élection directe aura lieu en 1965.

Comment la quatrième est-elle née et la précédente, la troisième a-t-elle pris fin ? La 4ème est née en 1946, à la suite d’un référendum en octobre 1945 du Gouvernement provisoire de la République française créé au sortir de la Snde Guerre Mondiale, où la République s’est interrompue en France, sous l’occupation allemande pour laisser place à l’Etat Français, sous l’autorité d’un dictateur Pétain et d’un chef de gouvernement d’origine « socialiste » .... Il ne faut pas moins de deux assemblées constituantes (dont la première élit De Gaule chef du gouvernement) et deux projets de constitution durant l’année 1946 pour aboutir à l’adoption en octobre de celle de la 4e république, sous forme d’un régime dit parlementaire, à deux chambres, où l’exécutif est exercé par un président du Conseil, dans la lignée de la 3e République.

Comment la 3ème République a-t-elle trépassé ? A l’occasion de la défaite militaire en juillet1940, où l’Assemblée nationale vote les « pleins pouvoirs » à Pétain, lequel se nomme lui-même « chef de l’Etat Français ». Cet Etat Français se jouera sous l’occupation d’abord de la moitié supérieure puis de l’ensemble du territoire français par les vainqueurs de la guerre franco-allemande. Comment la 3ème République est-elle née ? En septembre 1870, à l’occasion de la défaite française, encore une fois, face à l’armée allemande (prussienne exactement) à Sedan (accompagnée de la capture de l’empereur lui-même) et à Paris, mettant fin au Second Empire. On peut noter à cette époque un des rares événements vraiment intéressants dans ce registre, la suspension momentanée de la 3ème république par la Commune de Paris, ainsi que de quelques autres, à Lyon, notamment. Cet épisode n’a duré que trois mois, de mars à mai 1871.

Comment donc la 2ème est-elle morte et née au 19ème siècle ? Elle est morte officiellement en décembre 1852, avec la proclamation de l’Empire, annoncée par le coup d’Etat de décembre 1851 du Président de la République, le Prince Louis-Napoléon Bonaparte, qui devient le second empereur des Français. Elle n’a vécu que 4 ans, née avec la révolution de 1848, mettant fin à la royauté de Louis-Philippe Ier, ladite Monarchie de Juillet.

Quand donc est née et morte la 1ère république française ? La 1ère république française nait en septembre 1792, avec la Convention nationale, mettant un terme à la monarchie constitutionnelle qui a suivi la Révolution Française en 1789. Elle meurt officiellement en 1804, à l’avènement du 1er Empereur des Français Napoléon 1er, après avoir agonisé longuement sous le Consulat, promulgué officiellement le 1er janvier 1800, suite au coup d’Etat du 18 Brumaire an VIII (novembre 1799), dirigé par le général Napoléon Bonaparte.

Ce qu’on voit tout de suite dans cette chronologie en raccourci, c’est que le passage d’une république à une autre, ou à un autre type de régime politique, s’est fait toujours dans la douleur et la violence, soit à l’occasion d’une révolution, soit à celle d’une guerre, généralement perdue, parfois d’un coup d’Etat.

On y perçoit aussi que la 5e République est la seconde la plus longue (59, bientôt 60 ans) derrière la 3e (70 ans). On y repère encore que la 5e est un retour à un exécutif fort et personnalisé, avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct, celui-là même qui avait fait élire le prince Louis-Napoléon Bonaparte en 1848. C’est à partir de là qu’il fit son coup d’Etat le 2 décembre 1851 pour devenir président de la République à vie (alors que son mandat était fixé à quatre ans) et finalement proclamer le 2nd Empire un an après, jour pour jour. Et c’est précisément ce risque qui a détourné politiciens et citoyens de cette élection du président au suffrage universel direct et fait choisir un régime parlementaire où le président de la République est élu par l’assemblée et dépourvu de réels pouvoirs. Cela pendant 90 ans, et deux républiques.

On y voit aussi combien la mémoire fait défaut, par contre, quand, 48 ans après le Consulat (dont Bonaparte est bien entendu le 1er consul), à partir duquel Bonaparte instituera l’Empire, en 1804, on élit Président de la République le neveu même du 1er Empereur, lequel ne manque pas de faire également un coup d’Etat pour devenir empereur, à son tour. Mais il semble que cette élection soit due au fait du vote des ruraux au suffrage universel, enfin instauré en 1848, pour les hommes seulement, sachant que des candidats présentés dans un court délai, seul le nom de Bonaparte était connu dans les campagnes.

Qu’en sera-t-il donc d’un éventuel passage de la 5e à la 6e République ?

Un candidat à ces élections pestilentielles portait cette proposition, de réunir une Assemblée constituante dès sa présidence inaugurée afin de rédiger une nouvelle constitution, pour faire advenir une 6e République. Finalement, deux autres candidats ont envisagé cette nécessité mais sans vraiment la travailler et la porter.

Il se trouve que tous les politiciens et les grands médias ont d’abord caricaturé le programme de ce candidat et sa personne même. Alors qu’il était le premier à avoir présenté un programme réellement élaboré, suite à une série de consultations de connaisseurs des différents domaines d’administration. Puis, lorsqu’il est devenu dangereux par ses succès en meetings et sa montée en gamme au cœur même des sondages, on l’a plutôt dénigré, reconnaissant au mieux son talent oratoire, mais pour mieux en faire un « tribun », avec toute la nuance populiste romaine que cela sous-entend.

Aidés donc par les médias dominants, appartenant à de grands propriétaires de transnationales, les citoyens n’ont pas choisi d’élire ce candidat, qui était probablement un des rares à s’opposer par là à « l’establishment », même si, pas plus que les autres, il peut être considéré comme « hors système ». On peut considérer sans se tromper beaucoup que la plupart des gens en place, des décideurs, des gens de pouvoir et d’argent, qui soutiennent les trois autres principaux candidats, ne souhaitent pas la fin de la 5e République. Même la candidate FN, qui prétend aussi être « hors système » et dire « Non » à l’Europe et à l’euro, prétend également instaurer la préférence nationale partout, tant en matière d’emploi que de prestations sociales ou de commerce, n’a pas annoncé le passage à une autre république. Et là, c’est très étrange.

Même sans être trop hégèlien et déterministe en histoire (plutôt proche de Castoriadis, lequel penche pour une autonomie de l’humanité rapport à son destin), il est clair que dans l’histoire de la République française, depuis sa création en 1792, les changements de régime se sont faits par des ruptures violentes, voire par des expériences traumatiques, comme les coups d’Etat, les guerres ou les révolutions.



"La chute des anges rebelles" Pieter Brueghel l’Ancien

Que cette 5e République soit à bout de force et de souffle, cela ne fait pas de doute, au vu du menu récapitulatif (très abrégé) des farces et attrapes de ces « pestilentielles », qu’il faut en sortir pour s’en sortir. Et ce d’autant plus vu la menace que constitue l’accaparement des énormes pouvoirs présidentiels par une présidente FN ou même un président-banquier. Nous percevons déjà très clairement les risques spécifiques liés à chacun.e d’eux.elles.

Elle nous plongerait dans un certain chaos, avec des tentatives de mise en œuvre de la préférence nationale évidemment contrées par le Conseil constitutionnel, un gouvernement par décrets ou par ordonnances (sachant qu’on la voit mal réunir une majorité même relative à l’Assemblée ou au Sénat sur son programme) et surtout l’ouverture des vannes pour les seconds couteaux identitaires et nostalgiques du fascisme les autorisant à se grouper plus en moins en milices peu rassurantes pour toutes les minorités ethniques, sociales ou handicapées.

Lui nous plongerait dans ce que vit la Grèce au quotidien et la France en partie déjà, la privatisation des bénéfices et la socialisation des pertes. Autrement dit, la vente à l’encan de la plupart des richesses nationales (déjà entamée avec les aéroports et divers bâtiments patrimoniaux), l’accommodement de la fiscalité au bénéfice des plus riches et des entreprises, la poursuite de la déconstruction du code du travail au profit des entreprises contre les travailleurs.ses, le développement des traités internationaux de libre-échange rendant impossible toute politique de sauvegarde du patrimoine écologique, des acquis sociaux et l’exercice du principe de précaution en matière alimentaire et de santé.

Comment, dans ces conditions, envisager de voter pour l’un contre l’autre comme tant de bonnes âmes nous y invitent, des décideurs et des grands médias (encore eux) jusqu’aux classes moyennes où s’intègrent quelques-uns de nos proches, malheureusement, motivées elles aussi par la peur du chaos et de la perte de leur relative tranquillité ?

Dans ces conditions, il n’y a pas de vote possible, autre que le vote blanc ou nul ou l’abstention. Comme certain.es l’analysent judicieusement, parmi ses classes moyennes, qui réfléchissent de temps en temps, nous sommes avec tous ces candidats « hors système », l’un d’entre eux même « hors système solaire » (comme le suggère un dessinateur du canard Enchainé), et finalement avec le duo de choc du second tour, nous sommes pris en tenaille, en otage par le système électoral mis en place en 1792, et pas seulement par celui de 1958. Il s’agit bien d’une « stratégie du choc » mise en place par décideurs et grands médias qui ont fait monté inlassablement le FN en influence au sein de la population par une politique socio-économique et culturelle toujours plus catastrophique pour les pauvres et les classes moyennes, salarié.es et chômeur.ses, agriculteurs.trices et par des interventions orales ou écrites, toujours plus nombreuses et malvenues, mensongères et discriminantes à propos des minorités ethniques et sociales.

Et, de même, voyant le champion de la lutte contre la finance qui n’a pas de visage devenir incapable de soutenir dignement une candidature de continuité, ce dernier, avec le soutien tacite et clandestin des pouvoirs financier et industriel, a passé le témoin à son vrai fils spirituel, parangon du libéralisme, banquier d’affaires, jeune et charmeur, habile rhétoricien (beau parleur, en fait), son ministre de l’Economie, qui donne enfin un visage à la Finance, souriante et séduisante.

A noter, à la marge, qu’un Mouvement pour la 6ème République existe depuis près de deux ans. Il a recueilli sur une pétition 108000 signatures de soutien. Son projet et sa proposition d’accès au changement de république consiste en l’utilisation de l’article 11 alinéa 3 de la Constitution de la République*. Celui-ci permet, à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales (soit185 parlementaires soutenus par 4,5 millions de citoyens), de soumettre à référendum une proposition de loi appelant à convoquer une assemblée constituante.



"La nef des fous" Jérôme Bosch

Que faire ?

Aller voter ? Voire. Nous savons que l’isoloir, c’est vraiment fait pour isoler. C’est efficace. Et pour lutter, c’est-à-dire rester en vie, nous avons besoin de rester groupés, de vivre dans un aller-retour constant, mais discontinu, entre l’individu et le collectif. Alors ?

Rejoindre, sans aucun doute, pour commencer, le rassemblement du 8 mai à 14h à République organisé par le Front social pour affirmer avec lui que ce n’est pas dans les programmes électoraux et par le vote que nous avons obtenus les dits « acquis sociaux », mais dans la rue, par la lutte et les mobilisations. Et ce, d’autant plus que nous ne le savons que trop, les acquis sociaux ne le sont pas pour toujours. Et si « nous laissons faire » (un des maitres mots du libéralisme) le candidat qui sera élu, nous savons que le code du travail sera déchiré, méthodiquement, systématiquement, page par page, jusqu’à n’être plus que les deux pages de couverture (pas sociale)...

Pour la suite, il y a beaucoup à faire, pour s’opposer à ce qui advient. Il y a aussi à repenser avec attention et résolution, courage, les impensés qui nous gouvernent aussi sûrement que la Finance et les Profiteurs de la guerre sociale.

Dans ce sens, nous pouvons méditer, d’ores et déjà, ce passage d’un ouvrage du tournant du siècle que nous avons laissé derrière nous. Et patienter jusqu’au prochain épisode de notre série « Comment nous pourrions vivre si nous étions humains/vivants ».

« Paris ! Le Paris qui vote, la cohue, le peuple souverain tous les quatre ans... Le peuple suffisamment nigaud pour croire que la souveraineté consiste à se nommer des maîtres. Comme parqués devant les mairies, c’était des troupeaux d’électeurs, des hébétés, des fétichistes qui tenaient le petit bulletin par lequel ils disent : J’abdique. [...] Additionnez les bulletins blancs et comptez les bulletins nuls, ajoutez-y les abstentions, voix et silences qui normalement se réunissent pour signifier ou le dégoût ou le mépris. Un peu de statistique s’il vous plaît, et vous constaterez facilement que, dans toutes les circonscriptions, le monsieur proclamé frauduleusement député n’a pas le quart des suffrages. De là, pour les besoins de la cause, cette locution imbécile : Majorité relative — autant vaudrait dire que, la nuit, il fait jour relativement. Aussi bien l’incohérent, le brutal Suffrage Universel qui ne repose que sur le nombre — et n’a pas même pour lui le nombre — périra dans le ridicule. » (Les Feuilles, Il est élu, 1900, sous le pseudonyme de Zo d’Axa).

Pala


Notes.

* Le texte de cette conférence a été publié "Comment nous pourrions vivre" William Morris, 1884-2010, édition le passager clandestin (préface de Serge Latouche "un précurseur de la décroissance")
** Le journal Article 11(faisant référence au même article de la Constitution), disparu en 2015 dans sa forme papier mais poursuivant son existence sur internet, entretenait une réflexion intéressante sur les possibilités de la population à reprendre en mains son destin par la reprise d’une initiative politique selon toutes sortes d’expressions et de formes souhaitables ou souhaitées. En cela, il se donnait pour engagement de donner à réfléchir à tout un.e chacun.e à l’exercice réel de son pouvoir politique direct. Nous n’envisageons pas nous-mêmes notre pratique journalistique dans une autre perspective que celle-là.

Si Marine Le Pen l’emporte, les frontières françaises se fermeront-elles au bout de trois semaines ?


Limiter à 10 000 par an le nombre de nouveaux immigrants légaux en France. C’est le chiffre avancé par le FN depuis six ans, comme mantra de sa politique anti-immigration. Le programme du FN n’en dit pas plus. Les déclarations de ses responsables varient sur le sujet. D’où vient ce chiffre ? De quoi parle le FN et qui est concerné ? Les étudiants étrangers, les parents étrangers de Français, les immigrés, étrangers ou devenus Français, et les Européens en cas de sortie de l’Union... ? Si ce plafond est appliqué, tout séjour légal en France sera interdit au bout de quelques semaines. Explications.

C’est le point 26 du programme du FN en vue des présidentielles : « Réduire l’immigration légale à un solde annuel de 10 000 ». Le document n’en dit pas plus. Cette idée fixe du chiffre de 10 000 migrants légaux chaque année correspond, pour le FN, au projet de diviser par vingt l’immigration légale. Le parti xénophobe évoquait ainsi en 2011 une « réduction en cinq ans de l’immigration légale de 200 000 entrées par an à 10 000 entrées par an ». Ces « entrées » se sont transformées, à la veille des élections de 2017, en « solde annuel » de 10 000 personnes.

Problème : les entrées d’étrangers sur le territoire – même sans compter les touristes – et le solde migratoire sont deux choses bien différentes. Le solde migratoire, c’est « la différence entre le nombre de personnes qui sont entrées sur le territoire et le nombre de personnes qui en sont sorties au cours de l’année. Ce concept est indépendant de la nationalité », précise l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Il comprend aussi les Français entrant et sortant du territoire.

Confusion dans les termes

Le dernier bilan démographique de l’Insee a été publié en janvier 2015. Une version plus actuelle doit être publiée très prochainement face aux controverses et aux interprétations erronées des chiffres. Le solde migratoire de la France, qui est calculé à partir des recensements, s’établit à 33 000 personnes en 2013. En 2006, il était de 112 000. Ce solde migratoire a donc largement baissé en sept ans. Et il n’est pas loin du chiffre des 10 000 avancé par le FN.

Mais ce solde migratoire prend en considération les entrées et les sorties de tout le monde, Français, nés en France ou à l’étranger, et personnes de nationalités étrangères. En associant dans son programme « immigration légale » et « solde annuel », le FN, pense probablement au solde des personnes étrangères qui entrent et sortent de France. Souhaite-t-il alors limiter les nouvelles installations de ressortissants étrangers par an en France à 10 000, en tenant compte des personnes étrangères qui seraient parties sur la même période ?

Un quota annuel atteint en seulement 26 jours

Selon l’Insee, le solde migratoire des personnes immigrées, c’est à dire nées à l’étranger puis installées en France, était estimé à 140 000 personnes en 2013, en recul par rapport à 2006 (164 000) [1]. D’après la définition propre à l’Insee, ces personnes peuvent être d’une autre nationalité, comme 6,4% de la population vivant sur le territoire, ou être devenues françaises par acquisition [2]. Cela signifie qu’en faisant la différence entre le nombre d’immigrés – ressortissants étrangers ou devenus Français – qui sont partis et ceux qui sont arrivés, 140 000 nouveaux immigrés se sont installés en France en 2013.

Dans le détail, 235 000 immigrés sont arrivés, 95 000 sont repartis – soit un tiers du total des sorties. « Il s’agit essentiellement d’étudiants étrangers quittant la France à la fin de leurs études, de départs à l’issue d’une période d’emploi de quelques années ou encore de retours au pays au moment de la retraite », précise l’Insee. Si le FN retient ce mode de calcul pour mettre en place son solde annuel de 10 000 immigrés, au regard du flux actuel d’entrées et de sorties du territoire, ce chiffre sera atteint en seulement 26 jours. En 2018, si le FN est au pouvoir, la France devrait donc fermer ses frontières à toute personne née à l’étranger dès le 27 janvier, date à laquelle ce « solde » de 10 000 sera atteint [3].

Permis de séjour : les préfectures fermeront au bout de 16 jours

Empêtré dans ses imprécisions, le FN pense-t-il plutôt au nombre de permis de séjours accordés à des citoyens extra-européens (les ressortissants de pays membres de l’Union européenne n’ont pas besoin de permis pour venir s’installer et travailler en France, tout comme les Français ailleurs dans l’UE) ? Là encore, mystère. En 2016, 227 550 permis de séjour ont été accordés à des étrangers non originaires de l’UE, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Un permis de séjour sur quatre (88 000) est accordé au titre du regroupement familial, 30% sont accordés à des étudiants, 14% sont des séjours à titre humanitaire (droit d’asile, réfugiés, étrangers malades, victimes de traite d’être humain), 10% pour des travailleurs.

Chaque jour en moyenne, 621 permis de séjour sont donc été délivrés, selon les données de 2016. Si c’est ce nombre que le FN veut réduire à 10 000, le plafond sera cette fois atteint en 16 jours ! Dès le 17 janvier, les préfectures fermeront leurs portes : plus aucun étudiant, plus aucun parent étranger de Français ou de ressortissant étranger, plus aucun réfugié ou travailleur étranger ne pourra plus séjourner régulièrement en France. Précisons, ici encore, que le nombre de permis de séjour délivré n’a rien à voir avec le solde annuel, qui est la différence entre les entrées et les sorties. « Le décompte des entrées et des sorties est indépendant des permis de séjour. Il est réalisé à partir de données issues du recensement », précise bien l’Insee.

Le devenir incertain des citoyens européens

Autre grande zone d’ombre : dans son solde de 10 000, le FN compte-t-il les citoyens européens, alors que son programme envisage également une sortie de l’espace Schengen (point 24) comme de l’Union européenne ? Aujourd’hui, les ressortissants de l’UE sont libres de circuler et de s’installer où ils le souhaitent en Europe. Un Français peut décider du jour au lendemain d’aller vivre, étudier et travailler en Allemagne, en Italie ou au Portugal. De même pour les citoyens bulgares, espagnols ou suédois qui peuvent venir habiter en France sans demander d’autorisation administrative. 82 000 ressortissant d’autres pays européens sont ainsi venus s’installer en France en 2013, selon l’Insee. Ce qui représente plus d’un quart des entrées sur le territoire français.

La question se pose donc de savoir si ce chiffre de 10 000 inclut ou non les ressortissants étrangers d’autres pays de l’UE. Une sortie de l’Union mettra fin à la liberté d’installation des citoyens européens en France. Les Européens vivant en France – environ deux millions de personnes – deviendront des migrants comme les autres, entrant dans les statistiques de permis de séjour délivrés. De même pour les Français installés ailleurs en Europe : ils n’auront plus le droit non plus de s’installer ni de travailler librement dans d’autres pays de la communauté. Dans ce cas les frontières se fermeront pour tous.

C’est d’ailleurs une des inconnues qui plane sur le Brexit depuis que la Grande-Bretagne a décidé de sortir de l’UE. Quel sera le sort des millions de citoyens de différents pays européens installés au Royaume-Uni, de même que des Britanniques qui vivent ailleurs à travers l’UE ? Les politiciens britanniques qui ont fait voter la sortie du Royaume-Uni de l’Europe n’en savent rien. Pas plus que le FN ne semble réellement savoir de quoi il parle quand il avance son chiffre de 10 000 migrants légaux par an. La question se posera pourtant bel et bien, et très vite, si Marine Le Pen l’emporte le 7 mai.

Rachel Knaebel

Photo : CC Kevin Walsh


Notes

[1] Ces chiffres sont les plus récents, mais sont encore provisoires.
[2] Voir la définition du Haut Conseil à l’intégration.
[3] Un solde migratoire positif de 140 000 personnes correspond, en moyenne, à un solde quotidien de 385 personnes. À ce rythme, la limite fixée par le FN serait atteinte en 26 jours.
Sarkozy versus Juppé : 50 nuances de bleu

Retour sur le duel, entre Marseille et Toulon, des deux vaincus de la Primaire LR

Comme le temps passe vite ! En novembre dernier nous avions "testé" les meetings en Paca, même jour, même heure à Marseille et La Garde, des deux champions présumés de la Primaire de droite. Tous deux vaincus et désormais retraités de la vie politique nationale. Pour mémoire et pour l’Histoire !

17h55

Salle Vallier à Marseille, ce 27 novembre 2016, le laxisme règne : « C’est un objet en métal dans votre poche ? Très bien, rentrez. » A l’intérieur, effet Bygmalion, c’est cheap : il y a encore les buts de hand et une vieille pom-pom girl avec ses boules tricolores. On est parqué dans les gradins.

Salle Gérard Philipe à La Garde, près de Toulon, ce même 27 novembre 2016, le vigile ne plaisante pas et malgré notre résistance, il exige de récupérer le bouchon de notre litre d’eau : « S’il vous prenait l’envie de le jeter, vous pourriez blesser Alain Juppé ! » La salle communale a gardé les stigmates d’une vieille soirée disco. Il reste une boule à facettes au plafond. Sur chaque chaise, un drapeau tricolore made in china emballé. Les journalistes sont installés derrière le public. Un médecin qui dit gérer la campagne de Juppé à Marseille - mais refuse de nous donner son nom - nous fait un clin d’œil : « Avant, je soutenais Sarko, mais maintenant il est un peu trop… », mimant une moustache hitlérienne avec ses doigts.

19h06

Sarkozy arrive sur du sous-Vangélis. Le député Renaud Muselier se paye Juppé : « Il est venu nous "chatouiller". Mais nous, on nous critique pas. On nous aime ou on s’en va ! » Et, avant Gaudin, Martine Vassal, présidente du CD 13, exhorte « la majorité silencieuse à dire ce qu’elle pense. » Accoudée à la barrière de l’espace presse, on va la subir tout le long du meeting, la « majorité silencieuse ».

Toujours pas de Juppé… Soit il a croisé une balle perdue dans les quartiers nord de Marseille, soit il s’est noyé dans la rade de Toulon… On nous passe du Obispo pour patienter : « Holidays… ho ho lidays. » Sauvé ! Onze minutes plus tard son crâne dégarni fend la foule. Quelques « Juppé président » fusent venant principalement des « JAJ » (Les jeunes - à têtes de vieux - avec Juppé). Applaudissements du public mais pas d’hystérie générale. Mariton et Raffarin sont dans la place.

19h36

« Nicolas » donne le la : « Je ne veux pas une alternance molle. Si vous voulez une politique de gauche, ne votez pas pour moi. » Et, avant de dérouler sa partition, règle, par Bayrou interposé, ses comptes avec Juppé : « Je ne laisserai personne vous voler votre primaire. Je veux une primaire ouverte. Jusqu’où ? Jusqu’à la loyauté. » Traduction, dans notre dos, de la « majorité silencieuse » : « Bayrou salope ! »

Au micro se succèdent des élus locaux dont le député-maire de Hyères, Jean-Pierre Giran, porte parole de Juppé dans le Var, qui cite tous les présidents de la Vème République en oubliant Chirac ! « Ce qui me bouleverse ce n’est pas que tu m’aies menti c’est que désormais je ne pourrai plus jamais te croire », Jean Léonetti, député-maire d’Antibes, cite Nietzche et précise qu’« Alain Juppé ne mentira pas aux Français ! »

19h46

Sarkozy retrouve sa panoplie de flic : « Le premier défi, c’est l’autorité. » Et « la peine, la première des préventions ». Mieux que les peines-plancher : « Au 4e délit, tout délinquant verra sa peine augmenter de 25 %. Au 5e, de 50 % »... Et face au terrorisme, il promet un « référendum » pour « mettre en rétention administrative toute personne dont la dangerosité est préoccupante ». Quant au « délinquant étranger, à la minute où il sort de prison, il faut qu’il soit mis dehors ». La « majorité silencieuse » exulte : « La racaille dehors ! »

« C’est toi le patron Hubert ! », hurle une personne dans la salle lorsque Falco monte à la tribune. « Le Var n’appartient à personne ! », prévient le sénateur-maire de Toulon visant Sarko.

20h00

A l’école, le petit Nicolas veut « des notes, des récompenses, des sanctions ». Et des « internats pour les perturbateurs. Si les parents refusent, on leur supprimera les allocations ». La « majorité silencieuse » explose : « Les arabes dehors ! » Et n’en peut plus quand est promis le retour du « service militaire ».

Falco comme les autres ironise sur « nos ancêtres les Gaulois ».

20h04

Ça y est, on rentre dans le dur : « Je sais dans quelle ville je suis. J’aime la tolérance, la différence. Mais on a oublié qui nous sommes. Et cédé devant la tyrannie d’une minorité. Avec le burkini, c’est quoi, l’accommodement ? La moitié du burkini ? Et avec le voile ? » Et, au nom de la défense du « droit des femmes », Sarkozy martèle : « Ici, c’est la France ! » La « majorité silencieuse » hurle : « Et ceux qui sont pas contents, ils dégagent ! »

Standing ovation pour le propagandiste de « l’identité heureuse ». Juppé remercie chaudement Falco, un soutien dont il se souviendra « sur la durée ». Tacle Hollande : « une France dont le président pèse… 4 % ! » Il insiste sur l’importance d’une primaire « ouverte à tous » mais a conscience que pour la présidentielle « il faudra mouiller la chemise… car quand on est à 4 % on ne peut que remonter ». Les JATDVAJ twittent à mort !

20h10

« NS » attend une accalmie pour glisser : « Certains ont un problème avec les Gaulois. Moi, je n’ai aucun problème avec l’islam. Mais nos racines sont judéo-chrétiennes. Et quand on vit en France, on vit comme un Français. Et si on ne veut pas, on n’est pas obligé de vivre en France ! » La « majorité silencieuse » n’a plus de mot. Pour l’achever, on lui promet un « référendum pour suspendre le regroupement familial ».

« La sécurité est la première des grandes libertés républicaines » : Juppé veut rétablir les RG et propose 10 000 policiers de plus. Il dit oui aux étudiants étrangers, oui à l’établissement d’un quota d’immigration comme « au Canada », oui au regroupement familial mais sous condition de ressources. Oui à l’accueil de réfugiés dans les villes mais par petites unités « ainsi les Français ouvrent leur cœur ». Tout le monde n’applaudit pas, on est dans le Var tout de même !

20h25

Le social, l’économie, Sarkozy les expédie. C’est l’heure de la Marseillaise. La « majorité silencieuse » la massacre consciencieusement. Toujours un peu en retard. Toujours à contre temps.

« La Laïcité c’est d’abord garantir la liberté de religion […] Mais toute religion doit respecter les lois de la République. Il n’y a pas de place pour la Charria en France. » Forts applaudissements, on est dans le Var tout de même !

20h39

Pendant que la « majorité silencieuse » est interrogée par un collègue, Muselier, lui n’arrive pas à se débarrasser des mamies qui le harcèlent pour un selfie, un autographe et plus si affinités…

« Que se passe-t-il ? Vous êtes en train de me déconcentrer ! », lance Juppé à un homme du public, sûrement un agent de sécurité avant de reprendre sur le plein emploi. Pour tous les autres sujets, il donne rendez-vous au Zénith [de Toulon] pour en parler ! Se posant ainsi en vainqueur de la primaire. Et de conclure par une anaphore, comme en écho : « Je ferai TOUT pour que la France optimiste emmène dans son élan la France morose […] Je ferai TOUT pour que la France soit une, […], fière de ses valeurs, heureuse de retrouver le bonheur de vivre ensemble […] »

20h55

Drapeaux en berne, « la majorité silencieuse » attend le tram. Sans mot dire. Mais en en pensant pas moins...

Falco se colle à la droite de Juppé pour entonner la Marseillaise. « Il faut encore qu’il muscle son discours, à la Chirac ! », nous lance notre médecin dans un dernier clin d’œil.

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Sébastien Boistel & Samantha Rouchard
Article publié dans le Ravi n°145, daté novembre 2016

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Nicolas Sarkozy : 61 ans. Avocat. Ancien chef de l’Etat. Ex-président de Les Républicains.

Alain Juppé : 71 ans. Inspecteur des Finances. 1er ministre sous Chirac (1995-1997). Ministre de la défense (2010-2011) et des affaires étrangères (2011-2012) sous Sarkozy. Actuellement maire de Bordeaux (33).

Casseroles : une batterie mais pas de condamnation pour Sarkozy alors que Juppé a été condamné en 2004 à 14 mois de prison avec sursis et à un an d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêts (emplois fictifs de la mairie de Paris)

Slogan : « Tout pour la France » versus « AJ ! Pour la France »

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Le meeting :


Durée : Sarkozy 1H20 / Juppé 1H38 Temps de parole du candidat : Sarkozy 50 min / Juppé 51 min Temps de parole des soutiens : Sarkozy 30 min / Juppé 47 min
Public : Sarkozy : 3000 selon l’organisateur, 2000 selon la sécurité, 600 selon la CGT. / _ Juppé : 3000 selon l’organisateur, 1500 selon les journalistes.
Journalistes : Sarkozy : vingtaine / Juppé : Trentaine
Caméras : Sarkozy : 10 / Juppé : 7 caméras
Drapeaux agités : Sarkozy : une bonne cinquantaine (dont un non tricolore !) / Juppé : une vingtaine (sur les 570 offerts)

INTERVIEW - Stéphane François

« L’Économie sociale et solidaire ne fait pas partie de la matrice intellectuelle du FN »

Si le Front National commence a s'emparer de la question de l'écologie il n'en est pas de même de l’Économie sociale et solidaire... Entretien avec Stéphane François - politologue et historien des idées, enseignant chercheur à l'université de Valencienne et spécialiste de l'extrême droite. Il est notamment l'auteur de L'écologie politique : Une vision du monde réactionnaire ? Réflexions sur le positionnement idéologique de quelques valeur, (Cerf, 2012).

Le Front National a investi le champ de l'écologie il y a peu, notamment au travers de la défense d'une écologie dite « patriote" ». Est-ce que l'appropriation de cette question est nouvelle dans l'histoire de l'extrême droite française ?

La question de l’écologie n’est pas nouvelle au sein de l’extrême droite : depuis le milieu des années 1980, la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist1 s’y intéresse. Ceci dit, celle-ci n’est pas « patriote », la Nouvelle Droite n’étant pas jacobine et nationaliste, mais au contraire régionaliste et ethno-différentialiste2. Il y a bien une première tentative d'aborder ce sujet au sein du FN dans les années 1990, au moment où Bruno Mégret était le numéro 2 du parti, mais cela n’a pas pris, Jean-Marie Le Pen étant très hostile à l’écologie (une préoccupation de « bobo » selon lui).

Le discours que produit le FN sur l'environnement et la nécessité de le préserver est-il sincère ou est-ce au contraire une démarche opportuniste s'inscrivant dans une stratégie de « normalisation » destinée à prouver que le parti peut se positionner sur tous les sujets ?

Le FN était le dernier parti politique sans volet écologique dans son programme. Son investissement récent sur ce sujet semble sincère. Son cercle de réflexion sur les questions écologiques va plus loin que la simple défense des animaux : réflexion sur l’expérimentation animale, sur les circuits courts et sur les conditions d’élevage (comme leur condamnation de la « ferme des 1000 vaches » en Picardie…). On se rapproche d’un volet écologiste structuré, mais on en est encore loin : le FN continue à défendre le nucléaire et l’extraction du gaz de schiste… De fait, le parti ne s’est jamais réellement intéressé à l’écologie... Son électorat est plutôt sensible aux conditions de vie des animaux de compagnie ou se préoccupe du sort d’animaux symboliques comme les éléphants ou les ours polaires.

Le FN a créé des groupes de réflexion pour tenter d'attirer de nouveaux électeurs autrefois réputés à gauche, comme les fonctionnaires ou les enseignants. Mais le parti reste particulièrement silencieux sur des sujets importants comme celui du monde associatif et plus généralement sur l’Économie sociale et solidaire. Pour quelles raisons, selon vous ?

Tout simplement parce que cela ne fait pas partie de la matrice intellectuelle du FN, qui reste tout de même très poujadiste et libéral, et surtout très jacobin. Ces questions sont au contraire discutés chez les Identitaires et les néo-droitiers qui sont à la fois sensibles au localisme et aux circuits courts, aux AMAP et condamnent les firmes multinationales et le consumérisme de l’American Way of Life. En outre, chez ces derniers, les thèses du MAUSS ((Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales3) , pour ne prendre que cet exemple, sont discutées depuis les années 1990. Il y a même eu une tentative de récupération à la fin de cette décennie. Avec l’arrivée d’identitaires au sein du FN, cela va peut-être changer, mais ces positions entreront en concurrence avec celles de Florian Philippot, qui restent très jacobines et productivistes…

Est-ce que l'Economie sociale et solidaire est perçue négativement par une partie de la base électorale du FN, composée d'artisans et d'indépendants qui ne partagent pas les valeurs de coopération de l'ESS ?

Il ne faut pas réduire l’électorat du FN à sa base poujadiste : ce parti attire différents électorats qui se juxtaposent, qui vont des populations populaires précarisées du Nord et de l’Est aux rapatriés d’Algérie en passant par un électorat « vieille France ». Leurs préoccupations ne sont pas les mêmes. Les populations précarisées des anciennes régions industrielles sont plutôt favorables à cette forme d’économie car elle peut leur être bénéfique dans un contexte social et économique morose pour ne pas dire plus ; les électorats de la « vieille France » et du « monde de l’atelier et de la boutique », pour reprendre l’excellente expression de la politologue Nonna Mayer, y sont hostiles, n’y voyant qu’une forme d’assistanat.

Propos recueillis par François Delotte


1 - Courant de pensée politique classée à l'extrême droite et accès sur la défense des identités « ethniques » européennes.

2 - Principe selon lequel chaque « ethnie » possède des particularisme culturel devant être préservés

3 - Créé en 1981, la Revue du MAUSS revendique une approche critique du « tout marchand » et d'une « occidentalisation du monde » par les sciences sociales

Marion Maréchal LE PEN et les identitaires une histoire qui dure


Spécialement en période de campagne électorale, nous avons vite fait de nous laisser manipuler. Pour neutraliser les contestations, orienter les débats, faire passer des idées sans en avoir l'air, les politiques ont notamment recours à des mots ou expressions nouveaux. Exemple très parlant : un licenciement collectif est désormais nommé « plan de sauvegarde de l'emploi ». Inventé par des « think tanks », utilisés par les politiques et popularisés par les médias(1), ils s'imposent dans le langage courant et déforme nos réflexions : pour garder notre exemple, un auditeur un peu distrait a beaucoup moins de chance de se révolter en entendant parler d'un plan de sauvegarde de l'emploi qu'en apprenant que 200 ouvriers se faisaient virer en même temps. La Scop du Contrepied organise depuis plusieurs années des ateliers de désintoxication à la langue de bois (2). Sur ces pages, un aperçu de ce qu'ils ont déniché, pour ne plus écouter les discours et les informations comme avant.


1- L'âge de faire confesse utiLiser, parfois, des termes de cette novlangue sans s'en apercevoir. mais nous serons de pLus en plus vigilants !

2- Le dvd et le livret d'accompagnement expLiquant comment organiser vous-même un ateLier de désintoxication sont disponibLes sur le site de la scop, www.lecontrepied.org. Vous y trouverez également les dates des prochains ateliers.


EUPHEMISME


CE QU'EN DIT LE LAROUSSE : Atténuation dans l'expression de certaines idées ou de certains faits dont la crudité aurait quelque chose de brutal ou de déplaisant.

OBJECTIF : on adoucit une réalité qui, sans cela, serait trop dure à entendre. Les politiques en usent et en abusent donc, puisque ces euphémismes vont leur permettre de masquer leurs échecs ou de faire croire que les choses se sont améliorées.

ÉCLAIRAGE : il fut un temps où les entreprises, pour gagner plus d'argent ou en donner plus aux actionnaires, viraient des salariés. Aujourd'hui, elles procèdent à des « plans sociaux ».

Mais les euphémismes se laissent souvent rattraper par la réalité. Ainsi, le terme de « plan social » a pu tromper son monde, mais après que tout le monde eu compris qu'un plan social n'était rien d'autre qu'une vague de licenciements, il a fallu réinventer un terme. C'est ainsi qu'est apparu le « plan de sauvegarde de l'emploi » qui, comme son nom l'indique très mal, est également synonyme de plan de licenciements.

IL L'A DIT : « Les chiffres de ce soir manifesteront une amélioration de la situation avec une baisse tendancielle de l’augmentation du nombre de chômeurs. Cette augmentation sera assez modérée. » - Nicolas Sarkozy, le 26 mars 2012. Le chômage continuait de monter, donc...

AUTRE EXEMPLE : les vieux sont devenus des « personnes âgées », puis le « troisième âge », puis des seniors, et constituent désormais l'« âge d'or ». Une vraie cure de jouvence !


OXYMORE


CE QU'EN DIT LE LAROUSSE : Figure de style qui réunit deux mots en apparence contradictoires.

OBJECTIF : il s'agit de faire passer la pilule, ou de formuler un mensonge qui n'en a pas l'air car il est contenu à l'intérieur même de la formule. Une fois que l'expression est passée, le discours qui l'accompagne peut paraître cohérent, alors qu'il repose sur du vent.

ÉCLAIRAGE : l'impératif écologique est un vrai casse-tête pour les capitalistes. Continuer à alimenter la croissance et à accumuler indéfiniment les richesses impose d'exploiter les ressources naturelles d'une planète qui est limitée. Comme ce casse-tête n'a aucune chance d'être résolu, la parade a consisté à inventer des oxymores tels que « développement durable » ou « croissance verte ».

ELLE L'A DIT : « Dans [ l'expression ] "réussir la croissance verte", je voudrais vous dire qu'il ne faut surtout pas oublier le mot "croissance" ! » - Laurence Parisot, le 22 octobre 2009, alors présidente du Medef.
Pour enfoncer le clou, elle aurait pu ajouter qu'il fallait urgemment oublier le mot « verte ».

AUTRE EXEMPLE : Flexi-sécurité : Valls, Macron, El Khomri ont popularisé ce terme pour tenter de vendre leur loi Travail. Ils expliquaient ainsi qu'ils allaient renforcer la sécurité de votre emploi en permettant à l'entreprise de vous virer plus facilement.


FAUX-AMIS


CE QU'EN DIT LE LAROUSSE : mot à connotation positive qui dissimule une réalité négative.

OBJECTIF : les politiques se servent beaucoup de ces mots pour nous faire croire l'inverse de ce qu'ils sont en train d'expliquer. Par exemple, la « restructuration » d'une entreprise devrait être une bonne nouvelle alors que dans les faits, cela signifie qu'elle va procéder à des licenciements.

ÉCLAIRAGE : un faux-amis qu'on entend tous les jours en période de campagne : réforme. À la base, c'est assez neutre, il s'agit d'opérer des changements. Mais depuis quelques années, chaque réforme est synonyme d'un abaissement du nombre de fonctionnaires ou du niveau de protection sociale. Vous remarquerez d'ailleurs que, selon le discours dominant, il faut être « courageux » pour mener des réformes.

IL L'A DIT : « Nous avons conduit, avec Myriam El Khomri, les discussions avec les partenaires sociaux qui ont conduit à un compromis avec les syndicats réformistes. » - Manuel Valls, le 30 juin 2016.
Les « partenaires » sociaux devraient être des adversaires puisqu'il s'agit, d'un côté, des syndicats qui défendent les intérêts des salariés et, de l'autre, du patronat qui défend les siens. Notons cependant qu'un « compromis » a été trouvé avec les « syndicats réformistes » – autrement dit les syndicats qui abandonnent la bataille.

AUTRES EXEMPLES : efficacité, réorganisation, libéralisation, mutualisation, simplification...
Nous pouvons ajouter aux « faux-amis » les « faux-ennemis » : les « cotisations » sociales sont aujourd'hui appelées des « charges » sociales, comme si elles constituaient un fardeau.


TECHNICISATEUR ENJOLIVEUR


CE QU'EN DIT LE LAROUSSE : expression qui valorise l'état ou le statut d'une personne tout en masquant la réalité sociale de cette personne.

OBJECTIF : lorsqu'on n'a rien de mieux à proposer, un enjoliveur laisse entendre qu'une réalité s'est améliorée. Ainsi, les femmes de ménage auront été ravies d'apprendre qu'elles devenaient des techniciennes de surface, puis des opératrices de propreté et des responsables hygiène. Malheureusement pour elles, elles passent toujours le balai contre un salaire de misère, rien n'a changé de ce côté-là.

ÉCLAIRAGE : En échange d'une « promotion » par le langage, un enjoliveur peut même augmenter insidieusement la charge de travail de la personne concernée : une caissière s'occupait de sa caisse, alors qu'une « hôtesse de caisse », comme il convient désormais de les appeler, doit non seulement tenir sa caisse mais aussi sourire aux clients, les recevoir convenablement etc.

Les technicisateurs participent du même processus. Ceux-ci peuvent avoir une autre finalité : faire le malin, et donc exclure les profanes de la discussion. Le ministère de l'Éducation nationale, particulièrement performant en la matière, ne parle plus de piscine mais de « milieu aquatique profond standardisé », et ne pratique pas le canoë-kayak mais une « activité de déplacement d’un support flottant sur un fluide ».

IL L'A DIT : « En 2011, même si notre économie a continué à créer des emplois nets, le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté de 150 000. » - François Fillon, alors 1er ministre, le 26 janvier 2012. (Assistant parlementaire, c'est un emploi « net » ou « brut » ?)

AUTRES EXEMPLES : Il n'y a plus de chômeurs, ni même de demandeurs d'emploi, mais des « prospecteurs d'emplois ». La France va mieux ! À l'inverse, une femme au foyer élevant seule ses trois enfants sera intégrée dans la grande famille des « inactifs ».


PLEONASME


CE QU'EN DIT LE LAROUSSE : répétition dans un même énoncé de mots ayant le même sens, soit par maladresse, soit dans une intention stylistique.

OBJECTIF : comme l'indique la définition, il s'agit parfois de simples maladresses. Ne fait-on pas volontiers de la « marche à pied » ? Mais lorsqu'un politique utilise un pléonasme, c'est souvent qu'il veut vous persuader afin que vous soyez certains qu'il dit la vérité sans mentir.

ÉCLAIRAGE : certains mots ont perdu une bonne partie de leur sens. Par exemple, nous vivons dans une « démocratie », mais force est de constater que le « citoyen » n'a pas une grande influence sur la gestion des affaires collectives. Lorsqu'un politique veut s'emparer de ce thème, il en appelle donc à une « citoyenneté active » indispensable au fonctionnement d'une « démocratie participative ».

ELLE L'A DIT : « J’appelle démocratie participative la possibilité effective pour les citoyens d’orienter directement les choix, y compris financiers, et l’action publique. » - Ségolène Royal, lors de la présidentielle de 2007. (Sans doute que si la « possibilité » n'était pas « effective », la « démocratie » ne serait pas « participative ».)

AUTRE EXEMPLE : On a tellement bourré nos champs de pesticides et d'engrais en tout genre qu'on en a visiblement oublié le caractère naturel d'une plante qui pousse. L'agriculture qui fait appel à toute cette chimie est ainsi devenue l'agriculture « conventionnelle » alors que, pour parler de celle qui s'en passe, il faut préciser qu'il s'agit d' « agriculture biologique ».

Par l'Age de Faire, paru dans le n°117 de Mars 2017

Illustration parue dans le journal :

La revanche de Toto... et des Vendéens !

 

Fillon, grand vainqueur de la primaire de la droite (et du centre, dit-on)... à la bonne heure ! Car c’est aussi un sacré pied de nez de la part de son fidèle ami, Bruno Retailleau, dont le sourire et l’œil brillant trahissent au grand soir le sentiment d’une victoire personnelle. Dans le « shadow cabinet » (cabinet fantôme) constitué par le candidat Fillon, si le président des sénateurs Gérard Larcher (67 ans), figure du gaullisme social, semble bien tenir la corde pour endosser au début du quinquennat la fonction de Premier ministre, celle-ci pourrait par la suite échoir à notre Toto vendéen. Lequel pourrait prendre son mal en patience place Beauvau, comme ministre de l’Intérieur et des... cultes ! Du pain bénit pour ce fervent catho, qu’on aurait aussi bien vu à l’Agriculture, vu son appétence pour le monde rural.... Mais pas assez prestigieux, sans doute.

Bon, Fillon n’est encore que candidat, faudrait pas l’oublier ! Et si son pote Retailleau est déjà présenté partout comme un potentiel futur Premier ministre, il faut se rappeler qu’en 2009 déjà, il se voyait proposer par le « collaborateur » de Sarkozy - François Fillon - un poste de secrétaire d’état à l’économie numérique. Un dessein contrarié par celui qui était alors son père spirituel et son mentor politique, Philippe de Villiers bien-sûr. Le président du MPF, on s’en souvient, s’y était opposé et avait empêché cette promotion, voyant dans la proposition faite à son second un débauchage susceptible de nuire à sa campagne aux élections européennes. Lui- même ne semblait pas vouloir que son propre « collaborateur » s’émancipe ! Bien loin de freiner les ambitions de son bras droit, P2V va se le mettre dans l’œil, comme le rappelle cette couverture que nous avions publiée dès l’été 2010 (voir ci-contre). Bruno Retailleau commence par claquer la porte du MPF, mouvement qu’il avait adopté dès sa création en 1994 (un passé dont quelque chose nous dit qu’il ne manquera pas d’être rappelé aux mémoires dans les mois à venir), avant de provoquer le fameux putsch au Château et de détrôner le Vicomte. Le fils maudit s’affranchit du père pour devenir l’indéfectible soutien - le nouveau « bras droit » ! - de son vieil ami d’enfance François Fillon, avec l’objectif avoué de franchir une à une les marches du pouvoir qui lui avait été confisqué... Le flair d’une bête politique aux dents qui rayent le parquet ! Mais pas seulement...

Car les deux hommes ne se sont certainement pas trouvés par hasard. François Fillon est un Vendéen de souche, dont la généalogie paternelle plonge ses racines dans le Haut- Bocage vendéen, du côté des Essarts. Et comme l’association Vérité pour la Vendée l’a savamment rappelé, son aïeul, Jacques Fillon, a combattu la République naissante lors des guerres de Vendée... forcément, ça tisse des liens ! Mais alors, imaginez le tableau : si Fillon remportait l’élection présidentielle et si Retailleau devenait Premier ministre un jour, ça reviendrait à dire que la Vendée a pris tout pouvoir à la tête d’une République honnie et combattue voilà 250 ans, la blague... et quelle revanche là encore ! On en connaît un qui doit ronger son frein du fond de son « Puy », attendant certainement de voir si Toto, à l’instar de Sarko ou de Valls, et dans la mesure où il décrocherait le graal, tentera une nouvelle fois de devenir calife à la place du calife. En l’occurrence, on n’en est pas encore là ! Les Vendéens ont encore du chemin à parcourir avant de s’emparer du pouvoir... celui de faire - comme réclamé depuis toujours par Bruno Retailleau - reconnaître officiellement par la République le « génocide » orchestré par les sans-culottes de la Terreur lors de l’insurrection vendéenne de 1793. Tout un programme !

Edito du Sans Culotte 85 N°101 de Décembre 2016

L’écologie version Macron :
les contradictions permanentes de l’ancien ministre devenu candidat

Emmanuel Macron a enfin dévoilé son programme. Généreux en mots grandiloquents supposés incarner le changement, Emmanuel Macron affirme vouloir « changer de logiciel » et opérer une « transformation radicale », notamment en matière de transition écologique. Son « nouveau modèle de croissance » ressemble pourtant à ce qui se pratique depuis plusieurs décennies. Un modèle saupoudré de quelques apparentes mesures écologiques, sur la pollution atmosphérique ou les gaz de schiste, qui contredisent les politiques menées par le candidat lorsqu’il était ministre, à peine quelques mois plus tôt. Une analyse pour ouvrir le débat.

Lui qui a longtemps moqué les catalogues de mesures des candidats à la présidentielle est désormais doté d’un programme d’une trentaine de pages regroupant plus d’une centaine de mesures, plus ou moins détaillées, auquel il faut ajouter quarante fiches thématiques en ligne. Soit plus de 150 pages pour un programme qui est ordonné en six grands chantiers, chacun étant « essentiel pour l’avenir de notre pays ». La transition écologique – ou énergétique – ne constitue pas un chantier à part entière.

La transition écologique conditionnée à la croissance

Si le candidat affirme que « le changement climatique nous oblige à repenser notre organisation et nos modes de vie », la transition écologique reste subordonnée à « la modernisation de l’économie », qu’il faudrait libérer « des carcans et des blocages » pour enclencher un « nouveau modèle de croissance ». La double page de mesures consacrée à ce nouveau modèle de croissance est éclairant : aux « dégâts que nous faisons collectivement au climat et à la biodiversité » et à la mise en question de « notre modèle de développement et de production » correspondent une série de mesures qui visent d’abord à améliorer la compétitivité des entreprises, soutenir l’investissement privé, lancer des plans d’investissement et un fonds pour l’industrie et l’innovation.

Sans même être qualifié de « soutenable », « durable » ou « climato-compatible », ce « modèle de croissance » doit simplement être « nouveau ». Les secteurs économiques existants, qu’ils soient innovants ou nocifs, doivent croître, sans que cette croissance ne soit conditionnée à aucun objectif climatique, écologique ou même sanitaire. On retrouve la philosophie de la commission Attali, « pour la libération de la croissance », installée en 2008 par Nicolas Sarkozy dont Emmanuel Macron était rapporteur général adjoint, ou encore celle de la Loi Macron, votée en juillet 2015, qui visait déjà à « accélérer les grands projets » ou « simplifier le droit de l’environnement ».

Améliorer la compétitivité des entreprises

De la commission Attali à Bercy, en passant par le secrétariat général de l’Élysée, Emmanuel Macron baigne donc dans ce monde politique et économique qui n’est pas prêt à renoncer à la sacro-sainte croissance du PIB, seule juge selon eux du bienfondé d’une politique. C’est d’ailleurs le seul candidat de la présidentielle à soutenir l’accord de libéralisation du commerce et d’investissement entre l’Union européenne et le Canada (Ceta), alors qu’un récent rapport du ministère de l’Environnement confirme qu’il n’est pas compatible avec l’Accord de Paris sur le climat. Ses principaux conseillers économiques, les économistes Philippe Aghion, Elie Cohen et Jean-Hervé Lorenzi, sont d’ailleurs des économistes orthodoxes dont les recettes libérales conduisent à sacrifier le social et l’écologie sur l’autel de la compétitivité des entreprises et du désiré retour de la croissance.

Il n’est pas étonnant qu’Emmanuel Macron, qui se présente comme l’un des inspirateurs du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), envisage alors de pérenniser le dispositif en le transformant en « allègements de charges pérennes ». Pas étonnant non plus que cette mesure se trouve aux côtés de la réduction de l’imposition des entreprises privées – l’impôt sur les sociétés passerait de 33,3 % à 25 % – comme deux des mesures clefs de ce « nouveau modèle de croissance ». Si le CICE a peut-être amélioré la compétitivité des entreprises – le CAC40 a versé en 2016 un montant record de dividendes –, rien n’indique comment ces mesures pourraient contribuer à relever les défis écologiques et sociaux.

Le nucléaire, un horizon indépassable ?

A ces deux mesures chiffrées s’ajoute bien la volonté de consacrer 30 % du « grand Plan d’investissement de 50 milliards d’euros » à la transition écologique. Mais aucune précision n’est apportée sur ce qui doit être financé, et comment. Aucune des cent mesures du programme « grand public » n’explicite d’ailleurs comment le candidat souhaiterait donner plus d’ambition aux insuffisants objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre au niveau européen et mettre en œuvre la transition énergétique à l’échelon national. L’avenir du secteur énergétique français, qu’il soit nucléaire, fossile ou renouvelable, n’apparait pas être un des éléments structurants du programme quinquennal d’Emmanuel Macron.

Sur le nucléaire, l’ancien locataire de Bercy, qui a toujours soutenu l’EPR d’Hinckley Point et les stratégies ruineuses d’EDF et Areva en mobilisant 6 milliards d’euros d’argent public pour les recapitaliser, manie d’ailleurs l’ambiguïté. « Je n’ai jamais considéré que le nucléaire était une maladie », vient-il de déclarer lors d’un meeting à Caen, refusant d’envisager une sortie progressive de l’atome [1]. Le site du candidat reprend pourtant l’objectif fixé par la loi de transition énergétique (LTE) d’un maximum de 50 % de nucléaire dans le mix électrique à l’horizon 2025, contre 75 % aujourd’hui.

Selon Greenpeace, un tel objectif impliquerait de fermer 21 à 23 réacteurs d’ici à 2023 [2]. Hormis la fermeture de Fessenheim qui doit être « confirmée », le programme – papier et web – du candidat ne donne aucun échéancier. Comme s’il était possible d’atteindre l’objectif d’un maximum de 50 % de nucléaire sans fermer de réacteurs. Et comme si fermer de si nombreux réacteurs, et les emplois qui les accompagnent, n’impliquait pas un vaste plan de reconversion industrielle, des financements adéquats et quelques précisions d’un candidat à la plus haute fonction de l’État.

Quand Macron le candidat contredit Macron le ministre

Du côté des énergies renouvelables, dont le déploiement massif nécessite d’ailleurs une planification organisée de la fermeture des centrales nucléaires, Macron prévoit de tenir les objectifs de la loi LTE (32 % du mix électrique en 2022 contre à peine 15 % aujourd’hui) en encourageant « l’investissement privé pour mobiliser 30 milliards d’euros d’investissements ». Pour cela, l’État se limitera donc à « raccourcir et simplifier les procédures », et à « focaliser les efforts de recherche et d’investissement des opérateurs sur le stockage de l’énergie et les réseaux électriques intelligents ». Un peu court.

Évoquée sur le seul site du candidat, la « sortie des énergies fossiles », lesquelles représentent toujours plus de 65 % de la consommation d’énergie finale française (et non la moitié comme il est écrit) se traduit en trois mesures concrètes : la fermeture des dernières centrales à charbon (à peine 2 à 3 % de la consommation d’énergie finale), « l’interdiction de l’exploration des gaz de schiste » et le refus de délivrer de nouveaux permis d’exploration d’hydrocarbures. Mais qui faut-il croire ? Le candidat ou le ministre qui, en septembre 2015, avait obtenu que cinq permis de recherche d’hydrocarbures soient signés (Champfolie en Seine-et-Marne, Herbsheim dans le Bas-Rhin et d’Estheria dans la Marne) ou prolongés (Bleue Lorraine en Moselle et de Juan de Nova dans les terres australes et antarctiques françaises) à la veille de la COP 21 ? D’autre part, pourquoi vouloir continuer à financer la recherche sur le sujet [3] pour des hydrocarbures qu’il ne faudrait pas exploiter ?

Pollutions, Diesel, Notre-Dame-des-Landes : tout et son contraire

De même, faut-il faire confiance au ministre qui affirmait que le diesel devait « rester au cœur de la politique industrielle française », ou bien au candidat qui veut « réduire massivement la pollution liée aux particules fines » ? Par un coup de baguette magique, le programme annonce une division par deux (pourquoi deux ?) du nombre de jours de pollution atmosphérique. A Bercy, Emmanuel Macron avait signé un accord très favorable aux sociétés autoroutières en avril 2015 et préféré libéraliser le transport par autocar là où un ministre préoccupé par la santé de ses concitoyens et les défis climatiques aurait mis tout son poids pour appuyer le développement de transports en commun locaux et une desserte ferroviaire adaptée, modernisée et moins chère.

Du flou persiste également à propos d’un des conflits emblématiques du quinquennat Hollande : l’aéroport de Notre-Dame des Landes. « Le peuple s’est exprimé, je suis pour respecter cette décision », déclare-t-il tout en précisant le lendemain qu’il souhaite nommer un médiateur qui aurait six mois pour trouver une solution. D’autres grands projets d’infrastructures de transports, bien que fortement controversés pour leurs coûts et leurs impacts sur les territoires, tels que la LGV Bordeaux-Toulouse et le Lyon-Turin seront menés à bien. Tandis que le programme du candidat ne permet pas de savoir si « le renouveau minier » qu’il promettait quand il était à Bercy, l’ayant conduit à autoriser l’extraction de sable marin en baie de Lannion en dépit de l’opposition locale, sera poursuivi.

Aie confiance...

Si le programme de 18 pages indique vouloir « placer la France en tête du combat contre les perturbateurs endocriniens », c’est en fouillant sur le site du candidat qu’on obtient des précisions : l’interdiction des perturbateurs endocriniens est conditionnée à « l’existence de solutions scientifiquement reconnues comme moins toxiques ». Autrement dit, les lobbies industriels, dont on connaît les capacités à instrumentaliser des recherches scientifiques pour faire douter de la pertinence des solutions alternatives, pourront manœuvrer en coulisses pour maintenir un statu quo injustifiable. Ce n’est guère étonnant de la part d’un candidat plus enclin à défendre les intérêts des industriels que le principe de précaution (voir notre enquête), qui souhaite poursuivre la recherche sur les OGM plutôt que fixer un objectif vraiment ambitieux de produits bio et locaux pour la restauration collective.

Difficile donc de voir dans le programme d’Emmanuel Macron ce qui pourrait justifier de présenter la transition écologique comme une priorité tant les mesures semblent manquer de précision, de cohérence entre elles et ne pas s’inscrire dans une perspective de véritable transformation. Au moment où la transition écologique s’inscrit au cœur des logiciels et des débats à gauche, comme le montrent les programmes de Jean-Luc Mélenchon et Benoit Hamon, Emmanuel Macron et son aréopage de soutiens disparates semblent accuser un retard de plusieurs longueurs.

Maxime Combes, économiste, auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! [4]

Photo de une : Emmanuel Macron, encore ministre de l’Économie, aux côtés de Federica Mogherini, vice-présidente de la Commission européenne, lors du Forum économique mondial de Davos (source).


Notes

[1] Voir cet article du Monde
[2] Voir la note PPE : appliquer la loi de transition énergétique,juillet 2016
[3] Voir cet entretien avec le WWF
[4] Editions du Seuil, Coll. Anthropocène, octobre 2015.
Philippe Poutou, une candidature ouvrière pour 2017

Très-craint des Alpes : Charlie Castaner

Notre dépité-mémaire a reçu les félicitations de La Provence pour son poste de porte-mensonge gouvernementeur obtenu, je cite la plume servile, en récompense à "sa fidélité à Emmanuel Macron".
Joie de cette rhétorique positive qui permet de récompenser pour fidélité un acte de pur opportunisme (et une trahison du parti dit socialiste) qui vaut à Charlie Castaner de pouvoir espérer conserver son train de vie (autour de 8000 euros mensuels) et qui devrait lui permettre (sauf conscience électorale) de continuer ses démarches d'immersion en entreprises et ses marches estivales sans jamais perdre de vue le cours du marché !

Ce 6e "Très-craint des Alpes" attribué à Charlie Castaner (le petit Rhinolophe manosquin) en novembre 2016 revient sur des faits déjà anciens mais qui auraient du alerter les électeurs sur les mensonges et l'incompétence du personnage…

Charlie Pink Castaner n’aime pas l’eau et je le comprends. Moi aussi, je préfère le rouge. Mais l’eau n’est pas uniquement un besoin vital pour se rincer le gosier ou se dessécher la luette. Elle est aussi indispensable au bien-être et à la vie quotidienne (« s’astiquer sous la douche » !).

En bon socialiste, Charlie fait donc la guerre au service public… de l’eau. Qui se souvient de l’automne 2011 et du mouvement citoyen de ses administrés sur la possibilité d’un retour à une régie publique ? Et bien ce fut, niet, nada, non ! Malgré la volonté commune de se réapproprier ce bien vital, Charlie avait renvoyé avec morgue tous ces braves gens sur les roses, et il était reparti pour 12 ans avec la SEM [2] qui l’aime. Rebelote, en ce mois de mars 2016 où se jouait la délégation pour 9 ans de la gestion de l’eau d’arrosage du barrage de la Laye. Alors que l’élu de Mane et de droite, Jack Forfoot [3] prônait un retour en régie directe (va comprendre toi. Peut-être un restant de gaullisme nationaliste) et dénonçait les petites magouilles du Canal de Provence, le SIIRF de Forcalquier, sous l’impulsion des petits soldats de Charlie, Piton & Avril, reconduisait la délégation de service avec le Canal de Provence malgré une augmentation de 40% - réduite à 20% (lire La Canarde n°2 de 2016) !

Maurice Lachâtre, qui a édité Le Capital de Karl Marx, expliquait à celui-ci dans une correspondance du 4 mai 1872 que : « […] même les valeurs d’usage sans prix, comme l’eau, etc. pourraient bien un jour en avoir un, si un quelconque Rothschild décidait d’en acquérir le monopole. »

Changer l’eau en fric, c’est tout dire de l’idée que l’on se fait du bien commun !

P.S.


Notes

[1] « Petit rhinolophe » manosquin, une chauve souris locale (à lire ici et là)
[2] Société des eaux de Marseille (propriété de Véolia).
[3] Jacques Depieds, maire de Mane et président (lui aussi !) de la Communauté de communes de Haute-Provence…

Alors on a rêvé d'une campagne
« pas pareille » !

Sans fermer les yeux sur ce qui ne peut qu'inciter à aller à la pêche le dimanche. Mais en mettant en avant aussi ce qui laisse entrevoir d'autres possibles, des raisons d'espérer...


Découvrez les différents articles de ce carnet en tournant les pages vers la droite  

Squatteurs, zadistes, ils se présentent aux législatives

Adrien Doutreix et Alexandre Mahfoudhi, affiliés au mouvement pour la décroissance, sont candidats aux législatives en Gironde. Habitués des zads, nomades, squatteurs, ils veulent porter la parole de la rue, des plus précaires, et mettre en pratique une « démocratie radicale ».




Bordeaux (Gironde), correspondance

Le lancement de leur campagne s’est fait devant leurs cabanes de sans-abri, avec une poubelle comme pupitre. Depuis, leurs réunions publiques, sous forme d’assemblées comme à Nuit debout, ont lieu sur des places, dans des parcs, sous les platanes des bords de Garonne, ou devant un parking à étages. À la fois SDF, zadistes, squatteurs, décroissants, ils ont décidé de s’inviter sur un terrain où « tout est fait pour qu’il ne [leur] soit pas accessible » : les élections législatives.

Partis à cinq, ils ne seront finalement que deux à figurer parmi les candidats officiels : Adrien Doutreix dans la 1re circonscription (avec sa suppléante Sandra Aimard), et Alexandre Mahfoudhi dans la 2e (avec Amaya Rivere). Les autres (Vishnou, Kamel et Ayonn), n’ont pas pu aller au bout de leur démarche faute de suppléant — « c’est compliqué à trouver chez les anars », confie l’un d’eux — et d’habileté administrative. Vishnou (Stephen Rault, de son vrai nom), « candidat officieux » dans la 3e circonscription, jouera le rôle de mandataire financier d’Adrien Doutreix.

On s’étonne d’abord de leur démarche, imaginant qu’elle ne doit pas très être partagée dans leurs milieux. « On s’attendait à plus de désaccords, avoue Alexandre Mahfoudhi. Il y a un noyau opposé à toute démarche légaliste et “citoyenniste”. Mais beaucoup comprennent l’intérêt de se présenter pour prendre du temps de parole », rapporte-t-il. Pour eux, l’idée est aussi de « tenir une nouvelle barricade », complémentaire des barricades physiques et judiciaires. « Et puis, il ne faut pas résumer nos candidatures aux zads et aux squats. » « Je suis SDF. C’est douloureux de le dire. On est une caste, nous, les pauvres »

C’est tout de même là qu’ils se sont rencontrés. Notre-Dame-des-Landes, où Vishnou a vécu et même eu des enfants entre 2011 et 2014. Sivens, où ils étaient présents avant la mort de Rémi Fraisse, et où Alexandre a réalisé un mémoire sur le parcours de ces jeunes qui quittent la ville pour les luttes à la campagne. Mais aussi Échillais, Agen, ou encore Villenave-d’Ornon, la locale et brève occupation contre un « golf immobilier ».



Adrien Doutreix et Sandra Aimard, candidats dans la 1re circonscription de Gironde.

Malgré ces expériences communes, chacun se présente avec son propre vécu et ses préoccupations centrales.

  • La « démocratie réelle maintenant » et les assemblées populaires pour Adrien : « L’agora mondiale des indignés, le 25 octobre 2011, est la base de mon éveil politique », explique celui qui a aussi participé à Nuit debout Bordeaux ;
  • Les squats pour Vishnou : « Le squat permet de rapporter le pouvoir à l’échelle la plus étroite possible. Il devient une structure politique de base, qui rend l’État obsolète. »
  • Enfin, la situation des jeunes pour Alexandre : « Le suicide est la première cause de mortalité chez les 15-25 ans en France, la 2e au niveau mondial. Ces jeunes ne veulent plus vivre dans nos sociétés de violence, de prédation, et sans perspective positive. C’est un signal très puissant qui doit être entendu. »

À chacune de leurs sorties (manifestation pour la libération de onze Soudanais fuyant le Darfour et enfermés au centre de rétention de Bordeaux, commémoration du suicide en 2008 de Benoît Buron, SDF qui sortait de 48 h de garde à vue), ils déploient une grande banderole sur laquelle on peut lire : « Nous n’allons pas disparaître. » Ils l’ont récupérée lors de l’expulsion d’un squat cet hiver, l’Alouette. « Le message consiste à affirmer qu’ils peuvent expulser, punir, contraindre, mais nous n’allons pas disparaître et nous ne lâcherons rien », précise Adrien. « Certains, comme Juppé récemment, entendent maltraiter les pauvres pour qu’ils ne reviennent pas, qu’ils aillent se cacher. Mais on ne peut pas régler les problèmes en les niant », complète Alexandre.

« La peur de sortir du système, de ne plus manger à la mangeoire »

Ils se sont regroupés derrière le nom de « Laikos », « populaire », en grec ancien (qui a donné la « laïcité », mais ce n’est pas ce qui les intéresse ici). « Le peuple, par opposition à l’aristocratie », précise Alexandre. Selon lui, « c’est la volonté de ne pas nous couper des plus démunis, de la rue et son occupation qui réunit nos candidatures ». Lui vit cela comme un coming-out : « Je suis SDF. C’est douloureux de le dire. On est une caste, nous, les pauvres. »

Ces parcours qui les ont façonnés en font les représentants d’une pratique de la décroissance. « D’échec en échec, tu construis un rapport humble à l’espace-temps. Le nomade ne prend rien ni n’enlève rien aux autres. Les gens de la rue ressentent au fond d’eux un affaiblissement du sentiment de compétition. Ils ne veulent plus se bagarrer pour prendre aux autres un logement, un travail, etc. Mais affrontent la peur de sortir du système, de ne plus manger à la mangeoire. »



Alexandre Mahfoudhi, candidat dans la 2e circonscription de Gironde, avec Amaya Rivere comme suppléante.

Adrien, lui était infirmier. Il a pris une disponibilité de trois ans après un accident du travail alors qu’il approchait le burn-out, mais reste fonctionnaire hospitalier. « Arrêter de travailler a été un choix, en ça, je me sens vraiment décroissant », explique-t-il. Leurs candidatures font partie des seize rattachées à la décroissance (avec notamment Éric Pétetin, candidat dans les Pyrénées-Atlantiques). Même si le mot ne leur convient pas parfaitement, et qu’ils préfèrent parler de « bien vivre ».

Leurs propositions concrètes ne sont pas neuves : la réquisition des bâtiments vides (22.000 dans la métropole bordelaise) pour loger les personnes à la rue, la gratuité des transports en commun, un nouveau mode de décision des grands projets et la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte en matière environnementale… Mais surtout, la « démocratie radicale », inspirée par toutes les expériences qu’ils ont vécues. « Si je suis élu, affirme Adrien, je remettrai l’ensemble de mes prérogatives de député à une assemblée constituée des personnes volontaires de la circonscription. Pour que chacun puisse expérimenter la “démocratie réelle maintenant” et devienne législateur. »

« Le schéma de la discussion autour d’un feu »

Une sorte de « #mavoix » donc, mais sur les places publiques plutôt que sur internet, avec des décisions par consensus plutôt que par le vote. Et un ancrage idéologique fort : « Je suis porteur de valeurs, opposé à toute forme de domination (anticapitaliste, antispéciste, antiraciste et antisexiste), poursuit Adrien. Ce sont les lignes rouges de la tolérance contre lesquelles je n’irais jamais. Mais j’ai confiance en l’intelligence collective pour qu’elles ne soient pas dépassées. »



Vishnou (Stephen Rault, de son vrai nom), « candidat officieux » dans la 3e circonscription de Gironde.

« Beaucoup de gens commencent à être rompus à ce genre d’exercice. Même nos concurrents les utilisent parfois. Même si je n’étais pas élu, en ayant cette pratique on prend position pour l’avenir, on donne aux autres le goût et la capacité d’une autre organisation politique », selon lui, même si la mayonnaise tarde à prendre ces jours-ci à Bordeaux. Alexandre est un peu plus nuancé sur l’utilité à court terme de ces assemblées. Il y voit d’abord un moyen de recréer du commun : « C’est le schéma de la discussion autour d’un feu, qu’on a vécu dans les squats et les zads. Ce qui en ressort n’est pas forcément du décisionnel, mais de l’échange, du commun dans le langage. »

Justement, tous les deux sont bien conscients de ce qu’ils partagent avec les autres candidats de gauche à ce scrutin, et affirment ne pas vouloir ajouter à l’éclatement des candidatures. Ils aimeraient pouvoir aboutir à une candidature unique de la gauche radicale, comme l’explique Adrien : « Avec une assemblée publique, toujours, on pourrait arriver à un consensus entre nous tous et donner un mandat à un seul candidat, explique-t-il. Nous avons 70 à 90 % de notre pensée en commun. Mais les partis sont institutionnalisés, ils se présentent aussi pour bénéficier de la rente du financement public. » Nomades, les membres de Laikos ne sont eux pas prêts d’en arriver là.

Source : Baptiste Giraud pour Reporterre
Photos : © Baptiste Giraud/Reporterre

Législatives : quatre femmes, quatre manières de renouveler la politique à gauche

Elles sont toutes les quatre candidates aux législatives. Certaines sont soutenues par toute la gauche, de la France insoumise au Parti socialiste, d’autres pas. Les unes sont novices en politique, d’autres ont déjà une certaine expérience. Leur point commun ? Défendre leurs idées avant tout, partager une autre vision de la politique, au plus près du terrain, à l’écoute de ses habitants, y compris les « oubliés », de leurs préoccupations. Pendant toute la campagne, Basta ! a choisi de suivre Sarah Soilihi à Marseille, Isabelle Attard à Bayeux, Enora le Pape à Rennes et Nathalie Perrin-Gilbert à Lyon, où elles tentent, chacune à leur manière, de renouveler la politique et la représentation nationale. Voici le premier volet de notre série.

Quatre femmes, quatre visages de la gauche, quatre territoires à représenter. Pendant la campagne législative, Basta ! vous propose de suivre quatre candidates qui renouvellent les pratiques et les profils de la représentation nationale : Sarah Soilihi à Marseille, Isabelle Attard à Bayeux, Enora Le Pape à Rennes et Nathalie Perrin-Gilbert à Lyon. Isabelle Attard est la seule à avoir déjà été élue député mais sa manière d’exercer son mandat tranche avec les pratiques clientélistes et opaques de nombre de ses collègues. Enora Le Pape est novice en politique. Son profil et la réalité qu’elle côtoie ne sont pas représentés à l’Assemblée : elle fait partie des 5,8 millions de demandeurs d’emploi inscrit à Pôle emploi. Au nom de la défense de ses idées, Nathalie Perrin-Gilbert, maire du 1er arrondissement de Lyon, n’a pas hésité à s’attirer les foudres de Gérard Collomb, désormais ministre de l’Intérieur. Enfin, Sarah Soilihi, la plus jeune de ces candidates (24 ans) et championne de boxe, entame son premier combat politique face au FN dans les quartiers nord de Marseille. Le premier round commence.

Sarah Soilihi (Marseille) : une championne de kick-boxing pour les « habitants abandonnés » des quartiers nord


Sarah Soilihi (Marseille)

Dans sa circonscription, Sarah Soilihi est une figure bien connue. Mais jusqu’à présent pour autre chose que la politique : cette femme de 24 ans a été sacrée championne du monde de kick-boxing en novembre 2015, puis championne de France de karaté semi-contact l’année suivante. C’est désormais pour la voir aux côtés de Jean-Luc Mélenchon que les caméras de télévision la suivent de près, ces dernières semaines. Après avoir été porte-parole du candidat pour les présidentielles, la voici investie par la France Insoumise pour les législatives, dans la circonscription marseillaise j uste à côté de celle sur laquelle le leader a jeté son dévolu.

Les premiers mois de campagne ont inévitablement chamboulé sa carrière de haut-niveau, mais hors de question de la mettre en parenthèse. Sarah Soilihi continue de s’entraîner plusieurs fois par semaine avec ses trois coachs. « Il ne faut pas perdre le cardio d’ici le prochain combat prévu à la rentrée », glisse-t-elle, sereinement. Trois coachs, car elle s’est mise récemment à une nouvelle discipline, le MMA, aussi connu sous le nom de free fight. « Au karaté, on ne frappe pas assez… », sourit-elle d’un air entendu.

« En politique, ceux qui souffrent sont toujours les plus démunis »

Pourtant, Sarah Soilihi tempère vite la métaphore tarte-à-la-crème du journaliste : « En boxe comme en politique, il y a des échanges de coups. Sauf que dans un cas, on l’a choisi, pas dans l’autre. En politique, ceux qui souffrent sont toujours les plus démunis. » C’est justement pour cela qu’elle s’est engagée dans cette compétition nouvelle, pour se faire, dit-elle, « la porte-parole de tous ces habitants abandonnés et jamais représentés ». Mais Sarah est prévenue : « Le combat le plus dur, c’est la politique », assure Pascal Speter, l’un de ses coachs depuis quatre ans, par ailleurs militant pour le Modem qui avait déposé sa candidature à En Marche pour les législatives. Finalement, il n’y aura pas de candidat représentant officiellement la majorité présidentielle sur cette circonscription. L’entraîneur soutiendra donc son athlète : « Sarah, c’est une fille qui ne triche pas. »

Une qualité qui ne manque pas de sens dans cette circonscription jusqu’alors détenue par la socialiste Sylvie Andrieux, condamnée en décembre dernier à un an de prison ferme pour détournement de fonds publics et contrainte à démissionner de son mandat. Aux dernières municipales, le frontiste Stéphane Ravier a raflé ce secteur qui regroupe les 13ème et 14ème arrondissement, à cheval sur la circonscription : « Il incarne la frange identitariste la plus dure du Front National, qui bafoue publiquement le concept même du vivre-ensemble [1]. C’est peut-être la pire mairie de France, et en tous cas, une circo affreuse, où on joue sur la pauvreté et la peur des gens », analyse Samy Johsua, professeur à la retraite et militant historique de la gauche dans ces quartiers.

« Nous sommes les oubliés de la France. »

Une misère politique qui prospère sur la misère sociale : chômage, fermeture progressive des services publics, enclavement géographique… Les « quartiers nord » semblent plus que jamais déshérités (lire aussi notre précédent reportage sur le sujet : quand l’écologie populaire permet de lutter contre la désespérance sociale et la criminalité). « Ce ne sont pas des quartiers dans lesquels on ne peut pas entrer, ce sont surtout des quartiers dont on ne peut pas sortir ! », dénonce Geneviève, lors d’un tractage à la sortie de l’école. A côté d’elle, Sakrina dit ne plus attendre qu’une seule chose, après 40 ans de vie dans le quartier : « J’espère bientôt pouvoir m’en aller. Nous sommes les oubliés de la France, il n’y a plus aucune chance pour nos enfants ici. » Un abandon dont ne fait pas preuve Sarah Soilihi, qui ne lâche jamais son sourire. Les quartiers nord, elle les connaît bien : elle y est née, elle y a vécu toute son enfance et elle y réside encore – en « nomade » comme elle se surnomme elle-même, entre les appartements de ses grands-parents qu’elle continue d’aider. Et surtout, elle assure qu’elle y restera, si elle est élue députée : « Il y a bien plus d’ambiance à Marseille, non ? »

Cette campagne est la seconde de sa vie politique. Le ring électoral, elle l’a déjà expérimenté en décembre 2015 : elle est alors la porte-parole de Christophe Castaner, le candidat socialiste défait aux élections régionales. Depuis, l’homme a rejoint Macron et est devenu porte-parole du gouvernement, pendant que Sarah Soilihi faisait le chemin inverse. Encartée dans l’aile gauche du PS depuis 2011, elle le quitte en 2016 après « un quinquennat de désillusion en désillusion ». Active dans les manifestations contre la loi Travail, elle y noue des contacts avec le Parti de gauche et le Parti communiste, prémices de son adhésion à la France Insoumise dont elle dit aimer la liberté de mouvement : « Ce n’est pas du tout aussi carré qu’un parti politique, il n’y a pas autant de règles. »



« Elle n’est pas là pour prendre un fauteuil et s’asseoir confortablement dedans »

Sportive ou élue, Sarah Soilihi rêve en réalité d’une autre voie, en robe noire : « Je veux être avocate depuis que j’ai cinq ans, je n’ai jamais changé d’avis. » D’aucuns verront inscrits dans cette vocation les traits de conviction et de justice qui animent toujours la candidate. Mais avant de passer le barreau et de pouvoir plaider, Sarah Soilihi s’est lancée dans une thèse sur la cyber-contrefaçon des œuvres de l’esprit. « Pour pouvoir être aussi enseignante-chercheuse », assure-t-elle. La doctorante a beau avoir terminé de dispenser ses cours de droit pénal et reporté l’écriture de sa recherche à l’automne, elle n’est reste pas moins débordée. Entourée d’une petite équipe d’amis, elle gère elle-même tous les détails de sa campagne : l’impression des tracts, l’achat de la viande pour les barbecues des meetings, les réponses aux multiples sollicitations médiatiques…

Un brin hyperactive, Sarah Soilihi casse définitivement les codes de la politique telle qu’on la connaît dans les quartiers nord de Marseille. « Elle n’est pas là pour prendre un fauteuil et s’asseoir confortablement dedans », résume Mohamed, éducateur en foyer de mineurs délinquants. Sarah Soilihi peut donc espérer l’emporter par sa combativité. Pour cela, les prochains rounds seront décisifs. Sa victoire se jouera à quelques points.


Isabelle Attard (Calvados) : « Nos opposants ont de l’argent ; nous, nous avons la force du nombre. »



Ce dimanche de la mi-mai, les baskets d’Isabelle Attard détonnent avec sa robe, sa fonction et le château des Monts, à côté de Bayeux, en Normandie. Dans le parc de cette belle demeure en restauration se déroule son « banquet républicain » : un repas pour rassembler ses soutiens et financer sa campagne. La députée du Calvados est en course pour un deuxième mandat, cinq ans après avoir remporté à l’arrachée la circonscription. « Nous ne sommes plus dans ce contexte du retour de la gauche comme en 2012, estime une de ses soutiens. Mais tout est ouvert, car Isabelle Attard, c’est une preuve sur patte, pas une promesse. »

Libertés fondamentales, transition énergétique, critique des dérives de l’état d’urgence : voilà quelques-uns des combats de l’élue à l’Assemblée nationale [2]. Mais c’est aussi en dehors de l’hémicycle que la députée de 47 ans marque les esprits. Elle refuse les repas organisés par des lobbys, après avoir découvert leur fonctionnement en début de mandat. Renvoie les cadeaux qu’elle reçoit ou les donne pour la tombola d’une école. Transmet ses relevés de comptes à l’association Pour une démocratie directe, qui évalue l’utilisation des indemnités des parlementaires. Met sur pied un jury citoyen afin que la distribution de sa réserve parlementaire, ces 130 000 euros que chaque parlementaire peut distribuer chaque année, n’alimente des pratiques clientélistes. Isabelle Attard choisit aussi de limiter sa carrière politique : elle ne fera pas plus de deux mandats.

De l’auto-stop aux apéros citoyens

Ces mesures, celle qui était directrice de musée les appelle des « garde-fous ». Pour rester les pieds sur terre : « Quand on est élue députée, on peut très vite être coupés de la réalité. Nous vivons en vase clos. Au bout de quelques mois, certains de mes collègues sont devenus imbus d’eux-mêmes. » Dans la circonscription d’Isabelle Attard, la réalité est bien loin des conditions confortables de l’Assemblée. Une partie du territoire est marquée par la pauvreté ou la précarité, le sentiment d’être abandonné. Dans de nombreux villages, le vote Front National avoisine les 40 %. « Il faut engager la discussion avec ces électeurs pour pouvoir débattre. Sinon, on ne peut pas avancer », affirme la députée qui prône une politique sociale inclusive pour lutter contre l’extrême droite.



Dans sa boîte à outils, la candidate a toujours de petites vidéos sur l’immigration [3]. Elle utilise aussi des posters sur la concentration des médias, le cumul des mandats, la pauvreté et les fausses idées sur les bénéficiaires du RSA, ou encore l’évasion fiscale. Elle les brandit lors des apéros citoyens organisés pendant la campagne. Le principe : une douzaine de personnes prennent l’apéritif, chez un particulier, autour de la candidate qui amène boissons et gâteaux. La discussion peut durer trois ou quatre heures ! L’année dernière, Isabelle Attard a également marché pendant plusieurs jours, en dormant chez l’habitant. Cette année, elle passe des journées à faire de l’auto-stop. Organise des réunions publiques thématiques, fait venir François Ruffin [4] pour une diffusion du documentaire « Merci Patron », à Isigny-sur-Mer, là où le chômage et la précarité sont élevés. Objectif : susciter la parole et les débats, favoriser l’horizontalité, faire de la politique autrement à base d’éducation populaire et de simplicité.

« Il y a plus de choses qui nous rassemblent que ce qui nous séparent. »

Il faut dialoguer avec les électeurs attirés par le FN, convaincre les déçus de la politique, ceux qui se sentent abandonnés… Une condition pour espérer l’emporter dans cette circonscription traditionnellement conservatrice. Au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon et Benoit Hamon ont totalisé un peu plus de 20 % des voix. Mais outre le bilan de son mandat et l’éthique en politique qu’elle incarne, Isabelle Attard peut compter sur le soutien d’une grande partie des forces de gauche (EELV, France Insoumise et PC) derrière sa candidature « citoyenne ». Même le PS a décidé de ne pas présenter de candidats, officiellement suite à l’accord passé entre EELV et le PS, avant le premier tour de la présidentielle. Dans les faits, Isabelle Attard n’a jamais négocié pour bénéficier de ce retrait.

« Elle s’est imposée par ce qu’elle a fait pendant ces cinq années et la manière dont elle le fait », estime Jacques, un de ses soutiens marqué entre autres par le combat de la députée contre le harcèlement sexuel [5]. « Nous avons des différends, notamment sur le nucléaire, souligne Jean Lebon, militant communiste, ancien secrétaire départemental venu participer au banquet républicain. Mais elle s’est battu contre la loi El Khomri. Elle défend les plus démunis et essaie de faire vivre la démocratie au quotidien, en dehors des jours d’élection. Au final, il y a plus de choses qui nous rassemblent que ce qui nous séparent. »

Lors de son banquet républicain, alors qu’Emmanuel Macron vient d’être intronisé, Isabelle Attard fustige le détournement des mots, notamment le terme de « progressisme ». « L’écologie raisonnable, c’est y aller mollo sur les normes ?, interroge-t-elle. C’est laisser les lobbies tranquilles, les multinationales augmenter tranquillement leur profits, et faire en sorte que nous fermions les yeux ? ». « Nos opposants ont de l’argent, le soutien des banques et des multinationales. Nous, nous avons la force du nombre ! A condition de ne pas être divisé. Ici, on est parvenus à ce rassemblement. Ce n’est pas là que le Débarquement a commencé ? », lance-t-elle, en référence au débarquement allié, le 6 juin 1944, sur les plages normandes qui bordent sa circonscription.


Enora le Pape (Rennes) : une demandeuse d’emploi pour « l’urgence sociale et l’écologie »



C’est par la solidarité internationale qu’Enora le Pape, 34 ans, est arrivée à la France insoumise. Titulaire d’un master en droit et pratique de la solidarité internationale, elle a vécu 10 ans en Équateur où elle a constaté, navrée, à quel point les décisions politiques prises au Nord impactent les pays du sud, et notamment les paysans. « Ils ont de grandes difficultés à mettre en place leur souveraineté alimentaire alors qu’ils ont tout ce qu’il faut sur place pour le faire, en matière de climat et de terres, affirme la jeune femme. Le projet de la France insoumise est très clair là dessus : on produit en France pour consommer localement, avec un respect pour les paysans d’ici. Et on évite les échanges inégaux encouragés par les traités de libre échange. »

Enseignante et coordinatrice de projets dans le monde associatif, elle est revenue en France au début de l’été 2016 et s’est aussitôt investie dans un groupe d’appui à la candidature de Jean-Luc Mélenchon. « J’ai voté pour lui en 2012 et suivi de près la création du mouvement de la France insoumise, raconte-t-elle. Et comme je suis demandeuse d’emploi, je suis assez disponible. » Pendant plusieurs mois, elle assiste aux réunions, organise des débats, tracte en faveur de son candidat. Le 26 mars dernier, c’est elle qui introduit Jean-Luc Mélenchon lors de son meeting à Rennes, qui réunit 10 000 personnes.

Renouveler le profil des députés

Fin 2016, quand est venu le moment de choisir des candidats pour les législatives, elle est naturellement désignée. « J’ai été poussée par le groupe d’appui. Et élue début janvier par une quarantaine de personnes. Il n’y avait personne contre moi. Le fait que je sois une femme a compté ; c’est important pour nous qu’elles soient plus présentes en politique. Mon statut de demandeuse d’emploi a aussi pesé dans le choix. Au niveau national, parmi les candidats de la France insoumise, il y a 12% de demandeurs d’emplois précaires et étudiants. Actuellement, on ne trouve pas ce genre de profils à l’Assemblée nationale. » La législature sortante ne comptait également qu’un seul ouvrier et trois employés.

L’absence de conflits autour de sa candidature au sein du groupe insoumis local rend les choses plus faciles. « C’est serein, résume-t-elle. Et je suis en plus activement soutenue par ma famille et par mon mari. » Outre les traditionnels rencontres d’électeurs sur les marchés, et lors des meetings, la candidate prévoit des rendez-vous plus "ciblés", avec des associations de promotion du vélo par exemple, mais aussi les pompiers en grève ou les syndicats des personnels hospitaliers.

Face à un avocat et un professionnel de la politique

La campagne face à ses adversaires politiques risque d’être bien moins sereine. La circonscription où elle se présente est ancrée à gauche, mais Jean-Luc Mélenchon y est arrivé deuxième avec 24% des suffrages, loin derrière Emmanuel Macron (33%). La demandeuse d’emploi y affrontera un avocat, Florian Bachelier, candidat d’En marche, ainsi qu’un professionnel de la politique, le socialiste Emmanuel Couet, maire de Saint-Jacques de la Lande, président de Rennes métropole, et élu depuis quinze ans. Sans oublier un candidat écologiste, Mathieu Theurier, vice-président de Rennes métropole, en charge de l’économie sociale et solidaire.

« Il y a de plus en plus de monde aux réunions publiques, positive Felix Boullanger, son directeur de campagne. Et dans les lieux publics, on est plutôt bien accueillis. » « Les gens sont souvent déçus de constater le peu de place fait à l’écologie ou à l’urgence sociale dans les discours politiques, reprend Enora Le Pape. Nous, c’est la colonne vertébrale de notre projet. » Cette déception se traduira-t-elle dans les urnes en faveur de la trentenaire ?


Nathalie Perrin-Gilbert (Lyon) : « La principale incarnation de la gauche alternative à Lyon »



A Lyon, aux pieds des pentes de la Croix-Rousse, Nathalie Perrin-Gilbert est une figure bien connue de la vie politique locale. Maire du Ier arrondissement de Lyon depuis 2001, cette femme de 46 ans est devenue une des principales opposantes à la « Collombie », ce système politique, tendance centriste, mis en place par le nouveau ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, qui régit l’ensemble des affaires politiques lyonnaises depuis plusieurs années, et élu depuis 35 ans ! [6]. « Nathalie est la principale incarnation de la gauche alternative à Lyon, elle s’est toujours élevée contre les politiques libérales de Collomb », souligne Alexandre Chevalier, militant politique à ses côtés depuis plusieurs années.

Des coups, sa carrière politique en connaît quelques-uns : en décembre 2013, elle occupe avec quelques militants un collège désaffecté du Ier arrondissement lyonnais afin d’y reloger des familles sans-abri. Une revendication qui lui vaudra de passer près d’une dizaine d’heures en garde à vue pour « incitation à la rébellion » [7]. Le tout couronné des reproches du maire de Lyon, dont elle est alors conseillère municipale dans la même majorité, Gérard Collomb estimant « complètement irresponsable qu’on appelle à l’occupation de locaux publics »… Un épisode qui convainc André Gachet, acteur historique du logement à Lyon, de « son courage politique » : quelques mois plus tard, l’homme s’engage aux côtés de la maire pour les élections municipales et devient son adjoint aux services sociaux.

Du PS à un mouvement citoyen

A l’été 2016, nouvel affrontement public entre les deux édiles : tandis que les fontaines d’un jardin municipal ont été coupées suite à l’installation de familles « nomades » à proximité – afin de ne pas « laisser ce parc devenir un camping sauvage » [8] – Nathalie Perrin-Gilbert saisit directement le Défenseur des Droits. « C’est une femme de caractère, elle a un côté ‘‘Insoumis’’ avant l’heure », analyse un observateur local.

Comme Jean-Luc Mélenchon, Nathalie Perrin-Gilbert est une ancienne transfuge du PS au sein duquel elle a milité pendant 20 ans, jusqu’à y occuper les fonctions de secrétaire nationale chargée du Logement en 2008 lorsque Martine Aubry prend la tête du parti. Elle s’en trouve exclue quand, aux élections municipales de 2014, elle décide de concourir à un troisième mandat aux côtés du Front de Gauche et du GRAM, le Groupement de Réflexion et d’Actions Métropolitaines. C’est sous les couleurs de ce mouvement citoyen qu’elle a co-fondé en 2012 qu’elle se présente aujourd’hui aux élections législatives dans la deuxième circonscription du Rhône, là où elle avait été élue suppléante du député PS Pierre-Alain Muet de 2007 à 2012. Ce dernier ne se représente pas mais soutient la candidature de Nathalie Perrin-Gilbert, qui n’aura pas de candidat socialiste face à elle.

Une gauche lyonnaise divisée qui hypothèque ses chances

Avec une suppléante issue du Parti Communiste, Nathalie Perrin-Gilbert a donc réussi à construire autour d’elle un rassemblement politique assez large, du PC au Parti Socialiste, en passant par Ensemble ! (le mouvement de clémentine Autain) et même le Parti Pirate. C’est pourtant bien d’une candidature citoyenne qu’elle se revendique en premier lieu : Nathalie Perrin-Gilbert a ainsi participé, au début du mois de mai, à la présentation des candidats « hors-parti » organisée à Paris par le mouvement de l’Archipel citoyen, aux côtés d’Isabelle Attard, Caroline de Haas ou Ben Lefetey [9].

Pourtant, en dépit de ses proximités et de son soutien à Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, Nathalie Perrin-Gilbert ne sera pas soutenue par le mouvement de la France Insoumise, qui présente un candidat face à elle. « C’est un cas un peu compliqué, a tenté d’expliquer Nicole Benayoun, coordinatrice du Parti de Gauche à Lyon, parti qui participe à la majorité municipale auprès de Nathalie Perrin-Gilbert dans le Ier arrondissement. Nous lui avons ouvert les portes et proposé de nous rejoindre, mais elle a souhaité maintenir sa candidature sans signer notre Charte des candidats. » Cas de figure identique du côté d’EELV, qui présente également un candidat : « La posture d’EELV est la même partout : pour parler d’écologie, il faut présenter des écologistes », justifie Émeline Baume, également conseillère municipale dans le Ier arrondissement, qui rappelle qu’il y a deux tours aux élections législatives : « C’est donc important de maintenir une diversité d’offres au premier tour. » Sauf qu’à Lyon, berceau du macronisme, cette désunion pourrait coûter le deuxième tour à une circonscription historiquement de gauche.


Barnabé Binctin (à Marseille et Lyon), Nolwenn Weiler (à Rennes), et Simon Gouin (à Bayeux)
Photos : à Marseille, Jean de Peña (Collectif à-vif(s)) ; à Rennes, Laurent Guizard.


Notes

[1] Regarder la vidéo de France 3.
[2] Pour avoir un aperçu de son travail, consulter le site Nos députés.fr
[3] A voir ici
[4] L’article de Basta ! sur la campagne électorale de François Ruffin.
[5] Isabelle Attard fait partie des personnes ayant déposé plainte contre l’élu écologiste Denis Baupin.
[6] Elu député du Rhône en 1981, il devient maire d’arrondissement en 95, puis sénateur du Rhône en 99 avant de conquérir la mairie à partir de 2001, jusqu’à devenir président de la Métropole en janvier 2015.
[7] Lire l’article de Libération.
[8] Source
[9] Lire l’article de Reporterre.


Transition écologique, 6em république, non-cumul des mandats, des convergences sont-elles possibles ?

Depuis le début de la campagne présidentielle et son prolongement avec celle des législatives, la décomposition du paysage politique est allée en s'accélérant. Les principaux partis que compte le pays sont en crise et tentent de conjurer le mauvais sort que leur réserve l'avenir. C'est vrai pour le FN, LR, Le PS, EELV, et le PC dont les stratégies souvent scabreuses qu'accompagne la perte des repères idéologiques précipitent la chute.



Or, dans la recomposition qui s'opère sous nos yeux, apparaissent des nouvelles forces que les anciens politiciens tentent d'investir afin de prolonger leur carrière. C'est cette situation d'entre deux que nous devons gérer au mieux, afin de parer à toutes ces tentatives de récupération par les professionnels de la politique qui tentent de se faire une place au soleil dans la nouvelle répartition des forces. Nicolas Brien est à lui seul un condensé de ce que l'on peut produire de pire en la matière, d'autant qu'il ne connait aucune limite pour parvenir à ses fins, comme beaucoup s'accordent à le reconnaitre, y compris dans son propre entourage.

Mais dans tout ce galimatias, ces prises de position opportunistes, on veut encore croire que quelques militants sincères tentent de tracer de nouvelles perspectives d'action et ne renoncent pas aux vertus de la délibération collective, dans le but d'ouvrir de nouvelles pistes de démocratie participative.

Philippe Buvat et Ingrid Convers font-ils partie de ces militants sincères qui ne renoncent pas à leur idéaux ? On l'espère. En tout cas la campagne qu'ils mènent tout deux, mérite que l'on s'y attarde, car à part les groupes majoritaires des insoumis de Commentry et Montluçon qui ont du renoncer à présenter leur binôme aux législatives, victimes de manœuvres d'influence, les écologistes au niveau local sont les seuls à faire maintenant le pari de l'intelligence collective et de la clarté dans leurs propositions. Des propositions qui peuvent parfois être perçues comme clivantes (comme l'abandon du nucléaire), mais jamais démagogiques en raison des alternatives crédibles qui sont proposées et mises en débat, tout comme le faisaient les groupes d'insoumis de Montluçon/Commentry durant la campagne de la présidentielle.

Justement, des convergences existent entre le programme "un avenir en commun" de la FI élaboré à partir de la réflexion de nombreux collectifs citoyens à travers le pays, et les propositions que le binôme Philippe Buvat et Ingrid Convers mettent en avant pendant cette campagne, on ne peut les nier. Incontestablement, la transition écologique et l'abandon du nucléaire sont au centre de leur préoccupation et structurent fortement la mutation vers une logique écoresponsable qui suppose d'emblée la remise en cause du modèle libéral, système de prédation généralisée.

Étrangement, cet impératif de la transition écologique qui constitue pourtant la clé de voûte du programme de la FI "l'avenir en commun" avec les centaines de milliers d'emplois nécessaires pour réussir cette conversion indispensable, a été relégué au second plan dans la campagne de Sylvain Bourdier et d'Emmanuelle Michon, probablement en raison de l'influence des responsables de la fédération de Parti communiste de l'Allier, peu favorables à l'abandon du nucléaire, ce qu'ils ne manquent pas de faire savoir dès qu'ils en ont l'opportunité. La France insoumise qui a accordé l'investiture à ce binôme-là s'en mordra peut-être les doigts un jour ou l'autre.



Dans le dernier tract du binôme Bourdier/Michon, la transition écologique, le passage à une 6em république et la non-cumul des mandats ont disparu, pourtant, des propositions phare du programme "L'avenir en commun"

D'autres convergences existent entre le programme "l'avenir en commun" et les propositions mises en avant par le binôme écologiste. Le non-cumul des mandats à la fois dans le nombre et dans la durée en est une. La volonté de mettre fin aux pouvoirs sans limites du président de la République, en passant à une sixième république en est une autre.

Tout ceci méritera qu'à un moment donné "on pose les valises" et que l'on discute. Cela suppose qu'un véritable dialogue puisse avoir lieu, ne serait-ce que sur des luttes ou des combats ponctuels qui font consensus. Cela pourrait être le cas par exemple à propos du soutien que les uns et les autres apportent à l'association StopMines23 qui se bat contre la réouverture des mines d'or à Luçat en Creuse ou bien, encore plus près de chez nous, à propos de la réouverture des carrières d'Archignat. Autant de pistes de réflexion qui doivent être explorées.

Là aussi, des divergences existent avec certains élus PC. Pierre Mothet par exemple a publiquement défendu la réouverture de la carrière d'Archignat contre l'avis de l'écrasante majorité des élus locaux et des habitants (et plus encore des riverains) en mettant en avant les avantages économiques supposés dont la commune aurait tiré avantage, ce qui n'est pas prouvé pour le passé et resterait à prouver pour l'avenir. Surtout, on mesure bien que la préservation de l'environnement ne fait pas partie de l'ADN de certains militants PC, certes partisans d'une meilleure répartition des richesses, mais qui n'envisagent pas pour autant de remettre fondamentalement en cause le modèle productiviste et la logique suicidaire de destruction de notre écosystème qui mène le monde à sa perte.

Bien sûr, les rares débats de fond de cette campagne n'épuiseront pas les sujets essentiels pour lesquels des citoyens s'investissent, notamment dans les associations. Il y eut un avant, il y aura un après-élections. Pour beaucoup, il ne saurait être question de fermer le ban une fois les élus en place. Plus rien ne sera comme avant. Une veille citoyenne s'organise pour que les sujets de fond ne soient pas remisés au placard jusqu'aux prochaines échéances. Quoi qu''il arrive, ces élus seront sous haute surveillance.

Le combat pour une transition écologique, l'abandon du nucléaire, la défense des services publics, la défense du droit du travail, la lutte contre l'évasion fiscale, la lutte pour l'égalité réelle hommes-femmes, bref, la lutte pour une VIème République qui redonne le pouvoir aux citoyens sans exclusion des minorités restera au cœur des revendications syndicales, associatives et citoyennes présentes sur le terrain dont l'expression continuera à être privilégiée dans les colonnes de regardactu.

Philippe Soulié

Et si l'on changeait le mode de scrutin ?

Les deux élections les plus importantes de la vie politique française, la présidentielle et les législatives, consistent toutes deux en un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Or, celui-ci mesure très mal les opinions et peut faire élire un candidat autre que celui voulu par l'électorat. Quel autre mode de scrutin pourrait lui être substitué ?

Le défaut majeur du scrutin majoritaire uninominal est qu'il force l'électeur à voter pour un seul candidat alors qu'il peut également avoir une opinion sur les autres. Ce vote unique est interprété comme une adhésion à ce candidat, alors qu'il ne peut très bien s'agir que d'un vote par dépit (le moins pire), un vote utile stratégique, ou un vote de protestation (qui explique en partie les scores importants de l'extrême-droite). Tous ces votes vont être agrégés de la même manière.

Un scrutin défaillant à plusieurs égards

De façon générale, le principe d'un scrutin de ce type n'ouvre-t-il pas, par essence, la porte à la tactique et aux manipulations ? En théorie, le premier tour est censé permettre aux électeurs de se prononcer en leur âme et conscience pour leur candidat favori, et le second permet de départager les deux candidats sortis en tête du premier, ce que résume l'adage « Au premier, on choisit, au second, on élimine ». Partant de là, tout l'enjeu réel du premier tour qui devrait être de permettre aux électeurs d'exprimer leur préférence véritable est en réalité de qualifier deux candidats pour le second tour. Le scrutin majoritaire à deux tours est censé donner une légitimité majoritaire à son vainqueur. Mais celle-ci est artificielle, forcée. Il n'obtient la majorité que parce qu'il n'a plus qu'un seul candidat face à lui, et que les votes blancs et nuls ne sont scandaleusement pas comptés comme exprimés (sans même parler de l'abstention). L'objectif d'un bon mode de scrutin est qu'il soit le plus représentatif possible de l'opinion des électeurs et résistant au vote tactique voire aux manipulations.

Classer tous les candidats plutôt que de n'en choisir qu'un seul ?

Parmi les méthodes inventées par des mathématiciens et utilisées dans certains pays, on peut tout d'abord citer les méthodes de vote par classement (1), dont le vote alternatif, où les électeurs classent les candidats par ordre de préférence, comme en Irlande ou en Australie. Là où le scrutin majoritaire réduit la complexité de nos opinions sur les candidats au choix d'un seul nom, le vote alternatif permet de l'exprimer de façon plus riche puisque tous les candidats sont classés. Il ne constitue pas pour autant la méthode la plus simple pour les électeurs, car si l'on peut savoir quels sont les 2 ou 3 candidats qui plaisent le plus et le moins, il n'est pas forcément aisé de hiérarchiser une dizaine - ou plus - de candidats. Mais surtout, les modes de scrutin basés sur un classement sont sujets à des biais mathématiques importants (2) tels que la forte sensibilité du résultat à la présence ou non de certains candidats. Une manière d'échapper à cet écueil est d'avoir recours à un système ne consistant pas à classer les candidats, mais plutôt à les évaluer individuellement.

Attribuer des points pour mieux refléter notre degré d'adhésion ?

Le vote cumulatif consiste à répartir à sa guise un nombre de points donné entre les candidats (3). Mieux qu'un classement ordinal qui oblige à hiérarchiser, mais dit finalement peu sur le degré d'adhésion à chaque candidat (on peut très bien détester celui que l'on place en 2e), le vote cumulatif pourrait offrir une image beaucoup plus fine de la popularité réelle des candidats. C'est ce qu'on appelle l'expressivité du scrutin. Mais il est malheureusement très sensible au vote stratégique, certains ayant intérêt à manipuler le scrutin en mettant le maximum de points sur leur candidat, et le minimum aux autres, poussant les autres électeurs au vote utile pour compenser. Les candidats sont quant à eux encouragés dans une logique de compétition maximale, puisque chaque point amassé est un point de moins pour leurs adversaires.

Evaluer individuellement pour limiter le vote stratégique ?

Des recherches sur les systèmes alternatifs est également né le vote par approbation. Dans celui-ci les électeurs approuvent, ou non, les candidats. La mise en œuvre a le mérite de la simplicité absolue : on met autant de noms dans l'enveloppe que l'on veut, ou on les coche sur une liste. Un seul tour est nécessaire : est proclamé vainqueur celui qui a le plus de voix (4). Une variante, le vote de valeur (également appelé vote par note), permet d'en augmenter un peu l'expressivité, en élargissant l'échelle d'évaluation qui n'est plus « oui » ou « non », mais des notes (de 1 à 3 par exemple, ou avec des notes négatives, de -2 à + 2). Une amplitude trop importante (0 à 20, par exemple) renverserait les avantages de l'expressivité, puisqu'il ouvrirait de nouveau la voie au vote stratégique (« saquer » tous les candidats sauf un), sans compter que chaque électeur a son propre barème (13 peut être une note correcte pour l'un, médiocre pour un autre).

Le vote par approbation et le vote de valeur ont deux avantages majeurs. D'une, ils satisfont au critère d'indépendance, c'est-à-dire que l'ajout ou le retrait d'un candidat a peu d'impact, au regard des électeurs, sur les autres candidats. D'autre part, les stratégies clivantes perdent tout intérêt dans le vote par approbation, puisque l'adhésion que suscite un candidat peut être contrebalancée, annulée, par le rejet qu'il suscite chez d'autres électeurs.

Deux chercheurs français, Michel Balinski et Rida Laraki, ont mis au point une méthode assez similaire dans le principe à un vote par note, à la différence que les notes sont remplacées par des mentions. Dans un tel scrutin, les électeurs attribuent une mention à chaque candidat selon une échelle de valeurs à 5 ou 7 niveaux, d'excellent à : à rejeter, par exemple. On additionne pour chacun des candidats le score obtenu par chaque mention, en partant de la meilleure. La mention suscitant l'adhésion d'au moins 50 % de l'électorat - c'est-à-dire la meilleure sur laquelle s'accorde la majorité des électeurs - est la mention majoritaire du candidat. Le vainqueur est celui qui obtient la meilleure mention majoritaire. C'est ce mode de scrutin qui a été utilisé pour la primaire.org. Il aura eu le mérite de le mettre en pratique et le faire connaître.

Une photographie plus fidèle des opinions politiques de la population ?

Le vote d'approbation, le vote de valeur ainsi que le jugement majoritaire permettent aux électeurs de s'exprimer en conscience sur chacun des candidats, et donnent pour résultat une photo assez fidèle de la composition de l'opinion à leur égard. De façon plus générale, au-delà de l'opinion sur des personnes, ces modes de scrutin permettraient d'avoir un aperçu plus fin du poids et de la popularité réelle des courants politiques qui composent le paysage politique du pays, et donc d'en rebattre potentiellement les cartes (voir encadré). En revanche, comme l'expliquent des chercheurs (4), le mode de scrutin, quel qu'il soit, ne constitue jamais une méthode neutre pour désigner le vainqueur qui s'imposerait au peuple par l'évidence incontestable d'un calcul mathématique. Au contraire, le choix d'un mode de scrutin façonne la vie politique, et ses rapports de force. Il nous revient alors de décider collectivement celui qui nous parait le plus juste, le plus défendable.

Si le vote de valeur et le jugement majoritaire méritent que l'on s'y intéresse sérieusement, leur potentiel ne doit pas empêcher de rester critique vis-à-vis du principe même des élections, pierre angulaire de l'aristocratie élective dans laquelle nous nous trouvons. En revanche, l'adoption d'un de ces modes de scrutin pourrait permettre d'améliorer considérablement l'intérêt des élections dans l'hypothèse d'une refonte de nos institutions à l'issue de laquelle l'élection ne serait plus le seul mode de désignation et cohabiterait avec le tirage au sort dans la distribution des mandats et des responsabilités. En attendant, ces modes de scrutin peuvent très bien être mis en pratique à différentes échelles, dans différentes organisations, dans des situations où un vote est nécessaire, pour la prise d'une décision ou la désignation d'une personne. La démocratie ne s'applique-t-elle pas à tous les niveaux ? Associations, entreprises, conseils de quartier et citoyens, assemblées générales ont tous à gagner à s'intéresser à ces modes de scrutins alternatifs.

Nils Svanström


Des expérimentations qui donnent à réfléchir

Des expérimentations ont été menées par différents chercheurs sur le terrain ou sur internet, en marge des précédentes élections présidentielles (2002, 2007 & 2012), afin de tester certains de ces modes de scrutin alternatifs. Leurs résultats diffèrent selon le mode testé, mais remettent tous en perspective ceux des élections. Le candidat centriste et les candidats écologistes et de la gauche radicale y font de bien meilleurs scores (le premier sortant même vainqueur dans certains cas), alors que le FN, très clivant, arrive systématiquement dans les derniers.


(1) On distingue notamment les méthodes de Condorcet, de Borda, et le vote alternatif. Dans ce dernier, les électeurs classent les candidats par ordre de préférence. Lors du premier tour, le candidat qui est le moins souvent classé en tête est éliminé. Dès lors, il faut le supprimer du classement des électeurs, où tous les candidats encore en lice gagnent un rang. L'opération est renouvelée de façon à éliminer successivement les candidats jusqu'au dernier, qui est donc le vainqueur.

(2) Parmi lesquels on peut citer le paradoxe d'Arrow, selon lequel le retrait ou l'élimination d'un candidat mineur est susceptible de changer le classement des autres, et donc le vainqueur. Mais aussi le paradoxe de Condorcet : un candidat A peut être préféré à B, qui est préféré à C... qui est préféré à A. Le théorème d'impossibilité d'Arrow démontre qu'aucun scrutin par classement n'échappe à ces deux paradoxes (ni ne répond à une troisième propriété que nous ne détaillons pas ici).

(3) Avec éventuellement un minimum ou maximum de points pouvant être attribués à un même candidat.

(4) Baujard Antoinette, Gavrel Frédéric, Igersheim Herrade, Laslier Jean-François, Lebon Isabelle, « Vote par approbation, vote par note. Une expérimentation lors de l'élection présidentielle du 22 avril 2012 », Revue économique, 2/2013 (Vol. 64), p. 345-356.

Au sein de la Coordination permanente des médias libres, il y a un trublion, Pierre Merejkowski qu'on ne saurait résumer à un activiste vidéo capable de livrer des manifestes maniant autant l'auto-dérision que les quelques couleurs primaires capables de raviver le noir et blanc. C'est aussi un « panseur » politique aux revendications aussi revigorantes que définitives, aux propositions aussi obscures qu'éclairantes. Illustration...


Objet : demande de parrainage pour l’élection au poste de président de la république française
Paris, le 32 mars 2017

Monsieur le Maire,

J’ai pris la décision de présenter ma candidature au poste de président de la république française.

Ma candidature repose sur l’état actuel de la république française :

Les réacteurs nucléaires de la république sont partiellement à l’arrêt

Les aéroports, golfs, rocades d’autoroute et autres pipe line ne seront jamais construits, (la république française n’ayant pas les moyens financiers d’immobiliser vingt quatre heures sur vingt quatre la centaine de milliers de gendarmes que nécessitera la durée de ces chantiers)

Le système éducatif de la république française par ses blocus organisés par ses élèves est un excellent centre de formation à l’initiative collective que nous appelons tous de nos vœux

La multiplication des médias, des lieux de diffusion, rend inaudible la propagande fondée sur la culpabilisation du citoyen au nom du refus de toute utopie qualifiée de destructrice

Les assemblées multiples sur les places des Mairie Debout empêchent les décisions légales des élus des républiques (l’avortement en Pologne pour prendre un exemple n’a pas été mis en action malgré le vote majoritaires du parlement polonais)

Le co voiturage rendu nécessaire par l’appauvrissement général s’attaque au symbole d’une illusion de liberté, celle d’une voiture privée qui n’est qu’enfermement coûteux

Et enfin la présence sur notre territoire de réfugiés qu’aucun tampon, mur, ne pourra endiguer, celle ci étant la conséquence de la surexploitation des territoires occupés par des hordes touristes colons, sera le signe tant attendu de la renaissance placée sous le règne de la solidarité et non sous le règne de l’accumulation de bagnoles, et autres chauffe eau électrique.

Face à ce constat – vous en conviendrez sans peine avec moi -plutôt encourageant de l'état de la république française, ma candidature à ce poste de président repose sur l’unique principe de la STAGNATION ACTIVE.

Je tiendrai mes promesses.

Moi président de la république française je ne prendrai aucune décision, je ne signerai aucun décret, ni aucune ordonnance.
(Je répondrai toutefois au téléphone entre 22h00 et 23h47)

Vive la République

Vive la Mairie

Vivent les emplois fictifs !

Pierre Merejkowsky
Citoyen de base

De Chrysalide en Archipel, les prémices d’une vague citoyenne

À l’approche des élections présidentielle et législatives, de nombreux mouvements citoyens ont bien l’intention de peser dans le débat public. S'ils sont tous différents, ils s’accordent sur le fait de refuser les logiques de partis pour proposer aux citoyens de réinvestir directement le champ politique. L’enjeu est désormais de créer une dynamique commune pour peser davantage et acquérir plus de visibilité.

Quatorze candidats à la présidentielle avaient reçu une invitation à se rendre à la Chrysalide Citoyenne, une rencontre initiée par Sud-Alsace Transition un week-end de février. Son objectif était de réunir celles et ceux qui « se reconnaissent dans une démarche de promotion de la démocratie réelle et du pouvoir citoyen ». Plusieurs mouvements et collectifs engagés sur ces questions se sont donc retrouvés dans la Maison de la Citoyenneté de Kingersheim, une petite commune près de Mulhouse.

Le spectre était plutôt large, la liste des invités comprenait Benoit Hamon, Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon, ou encore Jean Lassalle. Finalement, seuls quatre candidats ont fait le déplacement. Charlotte Marchandise, qui a gagné LaPrimaire.org (une primaire ouverte à tous organisée sur Internet), et Jean-Marc Fortané, qui l’a perdue, mais « ne peut se résoudre à laisser tomber », sont restés les deux jours. Antoine Waechter, candidat des Verts à l’élection présidentielle de 1988 représentant aujourd’hui le Mouvement écologiste indépendant, a fait une brève apparition le dimanche. Quant à Rama Yade, ex-secrétaire du gouvernement Sarkozy, venue samedi pour promouvoir sa nouvelle formation « La France qui ose », elle semblait un peu égarée et n’a pas dit grand-chose. Alexandre Jardin, auteur et candidat « bleu blanc zèbre », est excusé, absent pour raisons personnelles. Le mouvement 100 %, la « force éco-citoyenne », soutenue par Francis Lalanne et Jean Lassalle, et qui a déjà établi la liste de l’ensemble des candidats aux législatives sur l’ensemble des 577 circonscriptions, est aussi représenté malgré les critiques qu’il agrège. Outre ces désignations qui paraissent un peu floues, ses détracteurs lui reprochent un financement par le controversé homme d’affaires Jean-Marc Governatori, co-secrétaire national de l’Alliance écologiste indépendante.

Nos égaux, leurs égos

« On fait le constat qu’il existe maintenant une multitude de mouvements autour de la citoyenneté et qu’il était opportun de les mettre autour de la même table », introduit Philippe Kuhn, membre de l’organisation ainsi que des Colibris. Le mouvement fondé par Pierre Rabhi ne défend aucun candidat, mais a rédigé un appel signé par plusieurs personnalités pour « compter les voix de tous ceux qui aspirent à remettre l’écologie et l’humain au cœur des préoccupations politiques ». Pour l’heure, ce week-end de travail a pour objectif « de faire émerger quelque chose, d’initier des actions ou des intentions communes ». Certains font référence à un sondage qui donnerait jusqu’à 39 % d’intention de votes à un candidat citoyen aux prochaines présidentielles[1]. Le rêve aurait donc été de rassembler plusieurs invités autour du principe d’une candidature citoyenne unique en mai 2017.

Mais parmi les candidats présents, personne n’est encore vraiment prêt à s’effacer pour un autre. Ici aussi, l’égo semble primer sur la nécessité de se mettre en retrait pour favoriser un projet commun. Un porte-parole de Rama Yade évoque, avec emphase, la nécessité d’une candidature « crédible, capable de faire le poids face à Trump, Poutine et Al-Assad ». La critique du manque de notoriété de ses adversaires est à peine sous-entendue. Chez les partisans d’Alexandre Jardin, les « faizeux », certains admettent que le côté candidat auto-proclamé est un inconvénient, mais son succès, notamment sur les réseaux sociaux, plaide en sa faveur. Du côté de l’équipe de Charlotte Marchandise, l’idée d’une seule candidature citoyenne a du sens, mais avant de renoncer à la sienne, « il faudrait consulter les 33.000 internautes qui ont voté pour elle », assure son chargé de campagne, qui rappelle que parmi toutes les candidatures (plus de 70 personnes en février ont indiqué vouloir se présenter à la présidentielle), celle de Charlotte Marchandise est à ses yeux la plus légitime, car la seule à avoir été soumise à un processus de désignation citoyenne.

Montée par deux personnes qui indiquent dans leur manifeste ne plus accepter « la confiscation systématique des élections présidentielles par les partis politiques traditionnels », la première phase de LaPrimaire.org a été organisée entre avril et juillet 2016. Tout citoyen éligible a pu se porter volontaire, ou être proposé comme candidat. Plus de 1.300 personnes ont concouru, dont 215 volontaires. Seize d’entre eux ont obtenu les 500 soutiens citoyens nécessaires à la qualification. Ils ont alors pu proposer leur programme, et un premier vote a fait émerger cinq finalistes en octobre. C’est finalement Charlotte Marchandise, formatrice de métier et adjointe à la mairie de Rennes, qui est sortie vainqueure de cette élection.

Les trois points principaux de son programme sont l’instauration d’un revenu de base, une transition énergétique et économique et, comme beaucoup de partisans d’une amélioration démocratique, la mise en place une constituante, c’est-à-dire d'une assemblée chargée de modifier la constitution. « J’ai le sentiment que notre enjeu majeur, c’est la démocratie. On parle de reprendre le pouvoir, de dégager les politiques professionnels, de sortir du système de corruption, etc. C’est un message plus compréhensible qu’un message partisan. Il ne faut pas que seul le FN profite du ras-le-bol, il faut proposer une voie qui ne soit ni le rejet ni le repli, il faut avoir des propositions et non pas une opposition. Les citoyens doivent se rassembler autour d’objectifs réalisables », affirme-t-elle.

Label démocratique

La promesse d’organiser une constituante est partagée par le candidat Super Châtaigne, qui n’est pas venu à la Chrysalide. Le super héros ardéchois s’est fait connaître sur Internet avec ses actions filmées contre les manifestations de « ce monde qui ne tourne pas rond ». Pour le justicier masqué aussi, « notre problème est avant tout démocratique, ce n’est pas une question de droite ou de gauche ». Sa mission : « déboguer le système. Tout le monde y a intérêt, sauf les glands, à savoir ceux qui gardent tout le pouvoir ». Mais que ce soit avec une cape ou une étiquette citoyenne, la perspective de remporter la présidentielle, ou même seulement de réunir les 500 signatures, n’est pas une sinécure. L’essentiel est ailleurs, à rechercher dans les prémices de cette reliance que beaucoup évoquent, cette construction d’une force commune capable de porter d’une manière cohérente et plus forte ce désir de refondation démocratique.


Super Chataigne

Le collectif de La Belle Démocratie est au cœur de ces préoccupations. Une semaine avant la rencontre de Kingersheim, il avait réuni une dizaine de mouvements citoyens à Marseille, dont Charlotte Marchandise et Super Châtaigne. Mais La Belle Démocratie souhaite s’inscrire dans une démarche de plus long terme que l'échéance présidentielle. « On appelle à la constitution d’assemblées locales autonomes sur différents bassins de vie. Ce serait un moyen pour la population de se forger des outils politiques. Il n’y aurait pas de programme pré-établi et on pourrait confronter des idées sur différents sujets », indique Daniel Le Scornet, l’un des initiateurs. Le groupe, qui puise ses origines dans l’expérience de Saillans, veut être suffisamment mûr pour les municipales de 2020. Il se prépare également en vue des législatives de juin 2017, puisque deux assemblées locales ont déjà été montées en Ardèche pour l’occasion. Il entend aussi être l’un des moteurs de cette reliance, avec l’idée lancée d’un « archipel citoyen » capable de réunir des mouvements différents.

MaVoix est l’un d’eux. Ce mouvement citoyen s’est fait connaître après une première expérimentation à Strasbourg lors des législatives de mai 2016. Une offre d’emploi de député avait été postée sur les réseaux sociaux et 16 personnes y ont répondu. Pour participer au tirage au sort déterminant le candidat, il fallait suivre une formation civique et valider des cours en ligne sur le fonctionnement des institutions. Pour éviter au maximum la personnification, le candidat a été choisi la veille de la date limite du dépôt des candidatures. La campagne s’est presque résumée au collage des affiches électorales, qui, avec un effet miroir et le slogan « Qui me représente le mieux ? », invitaient à voter #MaVoix pour finalement voter pour soi. Le candidat a frôlé les 5 %. L’idée est qu’une fois élu, le député ne fasse qu’appliquer les décisions des consultations ouvertes à tous sur Internet. Si plusieurs députés sont élus, ils reporteront proportionnellement les résultats du vote en ligne. Une cinquantaine de candidats MaVoix devraient se présenter aux prochaines législatives.

Dans la même mouvance, À nous la démocratie revendique une dizaine de candidats citoyens aux législatives, « pour dire que la politique n’est pas un métier », explique Mariette Valiergue, présente également à Marseille. Ceux-ci ont été choisis après un appel à candidatures, dont la condition pour postuler était de porter les six propositions[2] du mouvement « pour lever les blocages au sein des institutions qui empêchent l’accès et l’inclusion des paroles publiques ». On pourrait aussi citer La Relève Citoyenne, fondée en majorité par des déçus de Nouvelle Donne, et dont l’objectif est « de faire émerger et accompagner des candidats et des collectifs sur tous les territoires à chaque scrutin », ou encore le Parti du Vote Blanc, qui milite pour une réelle prise en compte de celui-ci, etc.

Hacker le système

Isabelle Attard, députée du Clavados, et Charlotte Marchandise, LaPrimaire.org

Pour formaliser la naissance de l’archipel citoyen et son horizon électoral, La Belle Démocratie avait conclu son week-end marseillais par une conférence de presse. Sur scène, il y avait notamment Isabelle Attard, élue députée du Calvados en 2012 sous l’étiquette des Verts et investie par le Parti Socialiste en vertu d’un accord électoral. Après avoir quitté son parti pour Nouvelle Donne, qu’elle quitte également en 2015, elle se dit aujourd’hui « en transition », et souhaite accomplir un dernier mandat pour « pousser la participation citoyenne le plus loin possible ». Il y avait aussi Nathalie Perrin-Gilbert, maire du 1er arrondissement de Lyon et représentante du Gram, le groupe de réflexion et d’action métropolitaines. Elle fut élue en s’alliant au Front de Gauche, mais compte porter sa candidature aux législatives uniquement avec le Gram. Ces candidatures, tout comme celles de Rama Yade, Jean Lassalle, Alexandre Jardin ou autres aux présidentielles, ne font pas l’unanimité au sein de la galaxie citoyenne. Aucune d’entre elles ne pourrait d’ailleurs bénéficier du Label de Haute Qualité Démocratique porté par La Belle Démocratie. Il ne permet aucun cumul, exige une transparence intégrale, pas de programme ni de candidat prédéfini (élaboré et choisi par les habitants dans les assemblées locales), pas d’alliances ni de soutien d’aucun parti et pas de consignes de vote.

La seule formation politique qui participe à La Belle Démocratie est le Parti Pirate. « Après le terrorisme, la mise en place de l’état d’urgence et la montée du FN aux régionales, on avait l’impression que tout pouvait basculer rapidement. On voulait trouver des alliés pour lutter contre la mise en place d’un possible État policier », indique Thomas Watanabe-Vermorel, son porte-parole. Le Parti Pirate est international ; il existe en France depuis 2009 et défend les libertés fondamentales et numériques. Il a aussi intégré dans son programme la défense et le renforcement de la démocratie. Thomas prône la complémentarité des démarches et souligne l’intérêt stratégique des partis politiques, qui « ont des avantages tactiques et fiscaux. » En effet, seul un parti politique officiel peut prétendre aux aides publiques réservées au fonctionnement de la vie politique. Les frais de campagnes peuvent être remboursés et le parti reçoit un peu plus d’un euro par voix aux législatives si ses candidats font plus de 1 % dans au moins 50 circonscriptions. Les partis politiques sont aussi financés en fonction du nombre de représentants à l’Assemblée nationale, pour un montant de 37.500€ annuels par tête.

La tentation est donc grande de vouloir hacker un peu le système pour détourner des fonds qui ne bénéficient actuellement qu’aux grosses formations. Avec La Belle Démocratie, le Parti Pirate a finalisé un accord à Marseille pour créer La Caisse Claire, un groupement politique qui permettra à quelques formations de s’y affilier pour recevoir cet argent. L’adhésion se fera par cooptation. Cette orientation a fait grincer les dents de quelques-uns, qui redoutent une éventuelle brouille du message délivré par des mouvements construits en opposition aux partis politiques classiques. Mais La Caisse Claire apparaît comme un outil très important, qui permettra sûrement de consolider la dynamique commune lors des prochaines législatives. Ces élections seront le premier vrai test pour les mouvements qui veulent ouvrir une brèche démocratique dans le jeu électoral. La très grande diversité de ces mouvements citoyens constituent leur richesse, mais aussi l’une de leurs faiblesses.

Guillaume Clerc, pour Lutopik


1. Sondage OpinionWay réalisé en novembre 2016 pour le mouvement 100 % auprès d’un échantillon de 1055 personnes.

2. Assurer le renouvellement de la représentation politique, lutter contre le parachutage, remplacer le Sénat par une chambre des Français établie par tirage au sort, rendre le gouvernement responsable devant le peuple et créer un « 49.4 », rendre possible le référendum d’initiative, et établir une justice impartiale pour les responsables politiques.

Ces mouvements citoyens qui veulent renouveler la démocratie

Pour pallier la déception des Français à l’égard des institutions, de nombreux mouvements politiques entendent revitaliser la démocratie en remettant le citoyen en son cœur. Le phénomène témoigne d’une volonté de changement. Reporterre fait l’inventaire de toutes les initiatives.

« Nous sommes ceux que nous attendons. » C’est le slogan du mouvement #MaVoix, qui vise à proposer des candidatures citoyennes aux législatives. Une manière d’enterrer le concept d’homme providentiel cher à la Ve République. Personne ne viendra vous sauver, alors engagez-vous et tentez de faire bouger les lignes, voilà ce que disent #MaVoix et nombre d’organes protéiformes, parmi lesquels Nuit debout, Stades citoyens, MaPresidentielle.fr, Les Jours heureux, Le Chant des colibris… Leur point commun : vouloir recréer de l’adhésion au politique en partant de son unité, le citoyen.

Tous partent du constat que la politique s’est éloignée des gens. « 99 % des jeunes pensent que les politiques sont corrompus, se lamente Charlotte Marchandise, la candidate issue de la primaire citoyenne de MaPrimaire.org. Il y a vraiment une urgence démocratique face à ce rejet des partis. J’ai moi-même reçu des parrainages d’élus Les Républicains qui me disent qu’ils ont honte de ce qu’il se passe. »

Pour répondre à ce dégoût, « moraliser » la vie politique devient impératif. Sur MaPresidentielle.fr, une plateforme qui collecte les propositions de tout un chacun en vue de la présidentielle, Maxime, le cofondateur du site, compte « environ 70 % de propositions liées à la gouvernance ». « Les gens ne veulent plus de cumul des mandats ni de cumul des indemnités », analyse-t-il.

Chacun a son remède à la crise démocratique. Les Jours heureux, collectif de plusieurs associations inspirées du programme du Conseil national de la Résistance, met en tête de gondole la nécessité d’une nouvelle Constitution et la création d’un fonds pour une démocratie citoyenne. À Nuit debout, on se concentre sur une proposition : la création d’un « jury citoyen », chargé de rendre des avis sur diverses politiques. « On va demander à tous les candidats de s’engager à convoquer une assemblée tirée au sort après les élections. Un temps de débat public médiatisé, articulé à des assemblées locales, ça serait la manière la plus intelligente et démocratique d’aborder la politique », explique Matthieu, qui confie que le mouvement réfléchit déjà avec des universitaires à comment lancer de tels jurys.

« Recréer du vivre ensemble, de la solidarité »

Être d’accord sur la manière de mieux gouverner, c’est bien, mais proposer des solutions, c’est mieux. Et sur ce point, tous s’accordent sur une idée : faire remonter au niveau national les initiatives qui marchent au niveau local. « Les gens ne veulent plus forcément qu’on fasse pour eux, mais demandent d’activer des leviers pour pouvoir agir, créer plus de circuits courts, plus de fermes bio, plus de monnaies locales », détaille Mathieu Labonne, directeur du Mouvement colibris. L’association a lancé son « appel pour le monde de demain », qui vise à rassembler le plus largement autour des valeurs d’écologie et de solidarité, celles prônées par le film Demain, réalisé par Cyril Dion, cofondateur des Colibris. D’ici à l’élection présidentielle, une tournée de 6 dates est organisée dans toute la France, avec pour but de faire émerger ces solutions, de débattre — sans oublier le plaisir, avec des concerts d’artistes « compagnons de route », comme Matthieu Chédid, Dominique A, Tété ou Tryo.

Réunion de #MaVoix le 10 janvier, à Paris.

Même volonté de partager les choses qui marchent au cœur du mouvement d’Alexandre Jardin, Bleu blanc Zèbre. Le site partage des « bouquets de solutions » sur toutes les thématiques, du logement à l’emploi en passant par l’environnement, sorte de catalogue des bonnes idées souvent mises en place par des associations à l’échelle des territoires. Car, selon Charlotte Marchandise, « quand on travaille au niveau local, les divisions idéologiques n’entrent pas en ligne de compte ».

Le risque ? Se retrouver dans une posture attrape-tout à la Emmanuel Macron. « On retrouve cela chez lui, cette idée de dire que les bonnes idées ne sont ni de droite ni de gauche, note Christian Le Bart, politologue spécialisé dans les questions de participation politique. Faire la critique du caractère stérile de l’opposition droite-gauche, c’est vieux comme la démocratie. Et aujourd’hui, cette tendance se retrouve assez massivement dans un contexte de déclin des grandes idéologies. Le socialisme, le libéralisme… ça n’excite plus grand monde ! »

Mais même s’ils ne le revendiquent pas, force est de constater que ces mouvements se situent plutôt à gauche de l’échiquier politique, avec un accent constant mis sur l’écologie et la solidarité. « L’intérêt de ces démarches, c’est de sortir du gros million de personnes qui partagent ces valeurs, en passant à une écologie plus positive, pour recréer du vivre-ensemble, de la solidarité », détaille Mathieu Labonne, du Mouvement colibris.

Chaque mouvement a sa manière de porter ce renouveau démocratique

Vu de loin, on aurait presque l’impression que tous ces mouvements se font concurrence dans leur volonté de porter la parole des « vraies gens ». Mais ce qui ressort de notre enquête, c’est qu’ils sont tous en contact les uns avec les autres. Les mesures de Jours heureux ont été votées par une cinquantaine d’associations parmi lesquelles Nuit debout, les Colibris… De même, Charlotte Marchandise assure être en lien avec les Colibris et les Jours heureux. « On participe d’un même élan, d’un même printemps citoyen, et on est évidemment en coopération », explique la candidate de MaPrimaire.org. Des temps de rassemblement sont même prévus, comme Stades citoyens, qui vise à réunir tous ces collectifs pour une agora géante au Stade de France le 22 avril.

Charlotte Marchandise à l’IEP de Grenoble.

Pour Mathieu Labonne, cette dynamique de coopération est inédite. « Précédemment, il y avait la tentation de se rassembler à plein pour porter un projet commun. Mais ça ne marche pas très bien parce que chaque mouvement a sa raison d’être. Plutôt que de faire ça, on travaille beaucoup plus en mode archipel, on crée des ponts avec les autres associations. On ne converge plus vers un projet commun, mais vers un champ lexical avec des valeurs d’écologie et de solidarité. C’est quelque chose de nouveau, de plus décentralisé. Comme dans une symphonie où tout le monde peut jouer sa partition. »

À l’approche de la présidentielle, chaque mouvement a sa manière de porter ce renouveau démocratique. Il y a ceux qui choisissent d’interpeller les candidats pour qu’ils prennent en compte cette parole citoyenne : Nuit debout, avec son idée de Jury populaire, ou encore les Jours heureux, qui incitent les candidats à se positionner sur ses 25 mesures. « On voudrait faire ce qu’a réussi le Conseil national de la Résistance, c’est-à-dire faire changer de trajectoire un pays, mettre une pression positive sur les candidats », assure Martin Rieussec, porte-parole du mouvement. De même, MaPresidentielle.fr aimerait aussi amener les candidats à se situer par rapport aux mesures les plus suivies sur le site. « Si nous sommes quelques dizaines de milliers, ils ne pourront pas faire autrement que de jouer le jeu », espère Maxime, le cofondateur.

Et puis, il y a ceux qui souhaitent passer à la vitesse supérieure, en faisant émerger de nouvelles têtes. Charlotte Marchandise a été la première, pour la présidentielle. À son tour, elle s’engage à soutenir pour les législatives les candidatures citoyennes, et, pourquoi pas, celles de # MaVoix. Christian Le Bart, politologue spécialiste des questions de participation politique, note cette « effervescence citoyenne », « signe de bonne santé de notre démocratie ». Mais il se montre sceptique quant à la capacité de ces candidatures citoyennes de faire bouger les lignes. « Déjà, il y a le filtre des institutions qui va entraver ces tentatives de renouvellement, ne serait-ce que via le système des parrainages pour la présidentielle », avance le politologue. De fait, Charlotte Marchandise a bien du mal à réunir 500 parrainages — seuls 7 ont déjà été validés par le Conseil constitutionnel.

« Un véritable intérêt pour tous ces mouvements citoyens »

« Et puis, il y a un deuxième filtre, plus pervers, c’est que les électeurs eux-mêmes ne sont pas tant que ça désireux de faire élire des gens qui leur ressemblent et qui sont à l’extérieur du système politique. De ce point de vue, les électeurs sont schizophrènes. Si les barons locaux font des mandats de 30 ans, c’est aussi parce que les électeurs votent pour eux », explique le politologue.

#MaVoix aux Halles, à Paris, en février.

Le dernier défi de ces mouvements, c’est aussi la question de la participation populaire, de savoir comment dépasser l’entre-soi de militants associatifs, pour toucher le citoyen lambda. « On a à cœur d’aller aussi dans les banlieues, ou dans les villages ruraux aux alentours des grandes villes. Et les gens sont hypercontents qu’on soit là. Ils se disent : “Pour une fois, peut-être qu’on va être entendu” », raconte Charlotte Marchandise. « Il faut aussi donner envie d’en être, en montrant que c’est heureux à vivre. François Ruffin, quand il dit “on n’a pas l’argent, mais on a le nombre”, c’est le message qu’il faut faire passer », abonde Martin Rieussec, des Jours heureux.

Dans un sens, le pari est sans doute déjà gagné. Le sociologue Antoine Bevort, qui mesure l’audience des sites de ces mouvements, constate « un véritable intérêt pour tous ces mouvements citoyens ». « Ils ne se situent pas trop mal par rapport aux autres sites de partis, surtout avec une présence médiatique beaucoup plus faible. » Une dynamique sur laquelle il faudrait capitaliser pour la poursuivre au-delà des élections, selon Mathieu Labonne. « Le changement de société, de toute façon, va se faire. Ce devoir de pédagogie, on veut le poursuivre dans la durée », conclut-il. Et même si leurs candidats ou leurs idées ne sont pas pris en compte aux élections, c’est au moins le symbole que quelque chose de fort est en train de se dérouler sur le plan démocratique.


INVENTAIRE NON EXHAUSTIF DES INITIATIVES CITOYENNES POUR RENOUVELER LA DÉMOCRATIE

#MaVoix aux Halles, à Paris, en février.

Les mouvements « généralistes » :

Les Jours heureux ;
Le Chant des colibris ;
Changeons de voie, l’appel d’Edgar Morin ;
CitoyenS.

Les mouvements « à candidats » :

Alexandre Jardin, Bleu blanc Zèbre et Les Citoyens (pour les législatives) ;
LaPrimaire.org et Charlotte Marchandise ;
#MaVoix ;
Nous citoyens ;
Stéphane Guyot, le candidat des « citoyens du Vote blanc » ;
Mouvement 100 % ;
Super Châtaigne.

Les mouvements « à projets » :

Nuit debout, pour la création de Jurys citoyens ;
Stades citoyens, pour des agoras géantes dans les stades ;
MaPresidentielle.fr, pour un positionnement des candidats sur des mesures proposées par des citoyens ;
Association pour une constituante, pour une nouvelle Constitution.
We are ready now, pour mettre en avant les solutions.

 

Martin Cadoret pour Reporterre


Photos :

. chapô : Nuit debout (© Nuit debout)
. Charlotte Marchandise : © LaPrimaire.org
. #MaVoix à Paris : © MaVoie / Flickr. Les photos de #MaVoix viennent de leur album Flickr.
Abstention à la marche !

Face au spectacle donné par les partis traditionnels, pendant que certains militent pour qu'on se détourne des urnes, d'autres rêvent de faire de la politique autrement. Pas simple...

A en croire le site web Lundi matin et un bouquin anonyme paru à La Découverte, la présidentielle (comme la guerre de Troie ?) n'aura pas lieu. En attendant, fleurissent en ce moment d'étranges affiches : « Boycott 2017 ! » Le slogan ? « Nos voix ne rentrent pas dans leurs urnes. » Le visuel ? Une urne qui brûle. Comme l'explique « Gus », jeune cariste n'ayant jamais voté de sa vie : « C'est né au moment de la loi "Travail". On s'est demandé comment prolonger la mobilisation. Or, face à la montée du fascisme, ce n'est pas en votant que l'on changera les choses. Mais uniquement en s'inscrivant dans un processus révolutionnaire. »

Et celui qui avait 10 ans en 2002 de nous assurer n'avoir eu que de « bons » retours. Même son de cloche de Pierre, de la Fédération anarchiste, ayant organisé, début mars à Marseille, un débat intitulé « Pourquoi ne pas voter ? » : « On a eu très peu de réactions négatives. Personne ou presque, pour nous parler du 21 avril. Sinon pour nous dire que, cette fois, ils ne se feront pas avoir. Le discours abstentionniste s'est libéré. Notamment avec la loi " Travail ", mesure qui était l'inverse de ce que Hollande avait promis. On n'est pas forcément contre le vote. On a même des camarades capables de se mobiliser localement face à un risque FN. Mais les gens ne veulent plus signer de chèque en blanc. »

Au-delà, il y a la recherche tous azimuts d'alternatives. En témoigne le défilé des « petits » candidats. Comme l'écrivain Alexandre Jardin passé le 4 mars par la cité phocéenne. Ou, un peu plus tôt, Charlotte Marchandise, lauréate de la primaire citoyenne (laprimaire.org). Lorsqu'on lui rappelle qu'auparavant, elle a été élue à Rennes, elle réplique : « Cela signifie simplement qu'il faut un petit peu d'expérience. » Mais aussi 500 parrainages, ce qu'elle n'a pas obtenu.

De fait, ceux qui voudraient faire de la politique « autrement » ne sont pas aussi « vierges » qu'on pourrait le penser. Comme la liste Une vie décente à Avignon menée par Lydie Mallet et Philippe Jaffré, duo atypique soutenu par le NPA et qui s'est rencontré à Nuit debout. Si la première se dit « un peu anar » au point de n'avoir tenu que « trois mois au NPA et 3 ans au PG », son colistier, lui, a été jusqu'en 2002 élu municipal (PCF) à Saint-Denis.

« Il faut en finir avec l'idée que la politique, c'est quelque chose de forcément sale, rétorque le duo. On n'est pas les candidats du NPA ni de Nuit debout mais de voir des gens se réunir dans la rue pour discuter politique, ça nous a donné envie de sauter le pas. Et puis, c'est bien connu, si tu ne t'occupes pas de politique, la politique s'occupera de toi. Même si ce n'est pas toujours facile. Mais c'est comme tout engagement. Quand on demande sur Facebook des vélos pour les réfugiés accueillis à Carpentras, on se fait insulter pendant une semaine ! » Une pression pas toujours facile à gérer, comme pour cette sympathisante de La France Insoumise, qui, après que son nom ait été un peu vite dévoilé comme candidate aux législatives sur Marseille, a préféré, a-t-on appris auprès de son entourage, jeter l'éponge.

Du côté de la Belle Démocratie, « archipel » de mouvements citoyens qui s'est lancé en février à Marseille et qui vise explicitement le « coup d'après » (les législatives et les municipales), on n'est pas né de la dernière pluie. En témoigne la mise en place de la « caisse claire », un outil de mutualisation des financements publics pour permettre de faire campagne. Mais aussi, parmi les animateurs, au-delà de l'ancien patron de la salle militante marseillaise le Point de Bascule François Pecqueur (qui, en 2007, s'est occupé de la campagne de José Bové), une ex du PS, Nathalie Perrin-Gilbert, maire de secteur à Lyon ou la députée écolo du Calvados Isabelle Attard.

Même au Parti Pirate, on n'a pas affaire à des novices. Certes, Delphine et Hélène, qui viennent de lancer la section Paca, doivent encore lire leurs notes pour leur « première interview ». Elles n'en ont pas moins fait partie du « staff de campagne de Christophe Castaner aux régionales. Mais, quand on a vu Paris lui intimer l'ordre de se retirer, au mépris de tout le travail réalisé, ça nous a dégoûtées des partis ». Ce ne sont malgré tout pas des « professionnelles de la politique » puisqu'elles sont... « fonctionnaires de police » !

Et, malgré la mise à disposition de « kits de campagne » en ligne (www.gerermacampagne.org), elles doivent faire face au manque de militants (une vingtaine sur la région) et de moyens, le « PP » évaluant le budget minimum pour une campagne à « 3000 euros ». Sans parler des esprits chagrins qui, non contents de grincer en voyant les « pirates » avoir déposé le nom de leur parti auprès de l'Inpi, l'Institut national de la propriété intellectuelle, raillent la démocratie interne au sein d'une formation où, malgré les outils mis en place, les orientations pour les élections ont été adoptées début 2017 par une grosse cinquantaine d'adhérents sur les 400 convoqués. Encore un effort, camarades !

Sébastien Boistel, Ravi 150 (avril 2017)

Pour leur foutre au cul un peuple président !

Dans ce numéro (Novembre 2016) sur les primaires (et les primates), nous interrogeons un candidat à l’élection présidentielle de 2017 qui propose de sortir de la logique des partis et d’un système qui écrase tous les débats au profit d’une cuisine électorale de plus en plus indigeste.

Daniel Adam vit depuis une quinzaine d’années dans les Alpes-de-Haute-Provence où il est régulièrement « sollicité comme militant des Droits de l’Homme [et] connu principalement par celles et ceux qui sont “dans la merde” ». Originaire de l’Est de la France, il est né en 1948 dans la vallée de l’Orne à Moyeuvre-Grande (57) dans une famille ouvrière et se définit comme un autodidacte. Après une carrière de consultant en économie de la santé, qu’il doit abandonner au début des années 1990 suite à un « accident de la vie », il reprend des études en philosophie du droit tout en continuant de s’engager bénévolement comme jurisconsulte en droit du Travail et dans des associations comme la Ligue des Droits de l’homme.

Nous l’avons rencontré pour lui poser quelques questions canardeuses sur cette drôle d’idée : se présenter à l’élection pestilentielle [1].

La Canarde sauvage : Comment un libertaire peut-il présenter sa candidature à une élection présidentielle comme un acte citoyen ?

Daniel Adam : Pour consacrer le citoyen, Robespierre et les Jacobins ont instauré le suffrage universel direct en 1792. Condorcet et Sieyès estimaient que « si tous les Français devaient cesser d’être des sujets pour devenir des citoyens, certains citoyens devaient être toutefois plus citoyens que d’autres ». C’est ce qui a fait dire à Coluche : « Les hommes naissent libres et égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Est un piège à cons toute élection qui permet d’exclure le peuple des décisions politiques.

Citoyen, mon engagement militant repose sur l’affirmation qu’un homme en vaut un autre. Libertaire, je réponds à la question : comment, à partir de soi, lever l’interdit politique qui pèse sur le peuple ?

LCS : Cette candidature se fait sans le soutien d’aucun parti mais s’accompagne de la création d’un mouvement intitulé « Le Peuple président ». Quels sont les objectifs de cette candidature et de cette organisation ? Quelle est ta définition du mot peuple ?

DA : Le peuple n’est pas un agrégat d’individus définis par un territoire. Historiquement, il est « lié » par un processus de domination, le pouvoir d’État (et ses appareils idéologiques) et de résistance à cette domination [2]. Ne peut donc « se dire du peuple » qui veut, et surtout pas la « brune » du FN !
Le Peuple président participe d’une vague citoyenne qui, comme Nuit Debout, cherche des modalités d’action sur lesquelles elle aura collectivement une prise directe plutôt que d’être ramenée individuellement vers une plage devenue machine à voter.
Le Peuple président est une façon de dire NON au reflux de cette vague. Et NON à la femme ou l’homme providentiel s’autodéclarant « candidat naturel ».

LCS : Quel est le fonctionnement du mouvement « Le Peuple président », son financement ?

DA : L’engagement dans ce mouvement commence par une exigence vis-à-vis de soi-même, une sorte de vigilance. Puis, la phase collective s’opère par sédimentation : chacune et chacun y vit à son rythme et selon ses besoins du « moment ». Seule l’action détermine l’organisation. Quand une situation réclame une compétence particulière, celle ou celui qui la possède en assume la responsabilité. Tout écrit est soumis à l’avis d’un premier cercle : treize personnes à majorité féminine.
Si une décision est requise, la proposition est soumise au Comité 2017 : 47 personnes dont les âges s’étalent de 24 à 81 ans. Actuellement, j’assume seul le préfinancement de la campagne et il n’est pas question de solliciter de la thune auprès de plus « pauvre » que moi [3].

LCS : Seuls trois candidats à ma connaissance (Poutou pour le NPA, Mélenchon et toi), ont le projet de mettre en place une constituante. Peux-tu nous en dire plus sur cette initiative ?

DA : Le peuple a bien d’autres soucis que la constituante : loyer, enfants, boulot, etc. Mais changer les règles est nécessaire pour batir la maison du peuple. On n’érige pas les murs d’une nouvelle maison sans sonder ses fondations. Le Conseil constitutionnel limite les possibilités de révision, soit par l’article 89 (accord des chambres après celui du Gouvernement), soit par l’article 11 (voie référendaire). En conséquence, une révision totale ne peut être décidée qu’en recourant au référendum.
Si la prérogative de créer une Assemblée constituante appartient au peuple, rien n’oblige juridiquement ses représentants à respecter sa volonté ! Aujourd’hui, une fois élu, un député tient son mandat de la nation et il n’a pas d’ordre ni d’instruction à recevoir de ses électeurs [4].
Pour sortir de ce piège à cons, il faut d’abord réformer le Code électoral, puisque le vote blanc, acte positif au sens du droit, est du même poids électoral qu’un vote nul ou que l’abstention, négatifs juridiquement.

LCS : Poutou et Mélenchon affirment que s’ils sont élus, ils supprimeront la fonction présidentielle, quel est ton engagement sur cette question ?

DA : Il faut aussi supprimer l’État bureaucratique et militaire, et surtout se méfier de soi-même, tant le pouvoir peut rendre « cinglé ». Poutou, Mélenchon ou Adam ne sont pas à l’abri d’une disjonction entre penser et agir. D’où la nécessité d’instituer des contre-pouvoirs, comme le remplacement du Sénat par l’Assemblée citoyenne, que propose notre camarade Louis Peretz [5]. En la matière, la Commune de Paris fait référence.

LCS : Les médias considérent les « petits candidats » comme faire valoir d’une démocratie qui porte bien mal son nom. Quelle est ta stratégie vis-à-vis de ce quatrième pouvoir capable par ex. de propulser un Macron ou un Hulot en tête de gondole mais infoutu de donner la parole et le pouvoir politique au peuple ?

DA : L’État est selon Marx le résultat de la lutte des classes. Mais il ne se réduit pas à son appareil répressif et s’appuie également sur un certain nombres d’institutions servantes de la « société civile » dont les médias font partie. Ceux-ci fonctionnent essentiellement à l’idéologie, même s’ils pratiquent aussi la violence par l’autocensure. Nous n’avons pas d’autre choix stratégique que d’en tenir compte mais je me suis promis comme candidat de ne pas y perdre trop de temps…

LCS : Tu sembles, en bon connaisseur des institutions, faire une large part à la démolition de niches antidémocratiques (suppression de l’ENA, de Polytechnique, de Science Po, du Sénat, etc.) mais sur le plan social quelle stratégie est imaginée afin de donner au peuple du pouvoir sur la vie politique et sur sa vie quotidienne tout court ?

DA : L’état de fait de la situation sociale est accablant pour notre État de droit. Il faut partir de cette occultation, et non du monde des idées, pour renforcer et développer le pouvoir du peuple là où il est : sur des territoires concrets et dans des activités qui impliquent l’entraide et l’association et que nous aimons investir et défendre. C’est le seul endroit où notre présence au monde a encore un poids, conscient de lui-même, car politiquement partagé. D’où mon éloge de la proximité.

LCS : Selon les mauvais augures de la presse et des sondages, le second tour de l’élection présidentielle opposera 2 candidats de droite voire d’extrême droite qui représenteront au total moins de 40 % des inscrits. Penses-tu que les abstentionnistes péseront sur la vie politique ou bien, comme Coluche, que si le vote pouvait changer quelque chose, il serait interdit ?

DA : Chacun sait que les sondages sont directement corrélés aux temps de parole et aux commentaires journalistiques dont les candidats bénéficient dans les médias. L’élection présidentielle favorise le bipartisme et la personnalisation du débat public. En conséquence, seule la compétition en vue du second tour oriente la présentation du premier.
Alors que la sincérité du scrutin est un principe constitutionnel, les règles de cette élection encouragent le vote utile et l’abstention, au détriment du vote blanc. Le résultat c’est qu’il ne reflète pas la volonté du corps électoral. Ce constat signe l’urgence d’une réforme du Code électoral. Quel intérêt peut avoir, pour un joueur, un jeu dont les règles ne lui permettent pas de s’exprimer ?

LCS : L’absence de gouvernement ou de pouvoir (on l’a vu en Belgique en 2010-2011), n’a que peu d’incidence pratique dans la vie quotidienne. Est-il raisonnable de continuer à entretenir des institutions censées nous représenter plutôt que de laisser s’épanouir d’autres formes de vie politiques qui privilégient, l’association, l’autonomie, l’autogestion, le consensus, l’entraide, etc. ?

DA : Le capitalisme survit tant que les conditions de l’extorsion de la plus-value sont préservées pour l’accumulation. Lui non plus n’a pas eu à souffrir de cette absence de gouvernement en Belgique. Toutefois, le Belge est sujet quand le Français est citoyen. C’est la preuve que, même avec un singe comme roi, les appareils idéologiques de l’État et son pouvoir répressif peuvent mener la danse de l’argent, sur leur tempo.

LCS : Quels sont les arguments et les soutiens du « Peuple président » pour sortir d’une crise politique qui pourrait durer éternellement et pour convaincre les citoyens de mordre la vie (politique) à pleine dents ?

DA : Depuis près de 40 ans sévit une consensuelle politique de mondialisation du capitalisme : l’ultra libéralisme. Elle s’exprime par une mise en concurrence des populations, une casse sociale généralisée, des délocalisations de « savoir-faire » et un nivellement par le bas des salaires et des standards sociaux. La mise à sac des droits du peuple a été gérée par des « partis de gouvernement », à « droite » comme à « gauche ». Cette décadence du politique se traduit par une pauvreté et une précarité croissantes, 9 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, plus d’un million de jeunes ne sont « ni dans l’éducation, ni dans l’emploi, ni en formation », l’ouvrier, le paysan, l’artisan, le commerçant vivent dans la souffrance au travail quand le chômeur est enfermé dans l’inactivité. Le présent est un cauchemar et l’avenir un rêve !
Contre la logique de la productivité et ses conséquences sur nos institutions et notre économie, la raison nous commande de ne plus sacraliser le chiffre et le rendement, mais de raisonner en termes de besoin et de dignité. Aux rapports d’autorité, nous préférons ceux basés sur le respect et l’entraide. Ce renversement des normes (l’être humain est la priorité) est le seul de nature à subordonner la concurrence du « marché » et le financement public à des objectifs sociaux. La santé, l’éducation et l’environnement alimentaire, y compris l’eau, deviendront ainsi la main gauche de l’État social.
Affirmer la priorité de l’être humain, c’est élargir les horizons du possible en une indispensable utopie, tout en s’inscrivant dans un avenir qui pourrait être différent et un présent partageable.
Mais pour cela, il faut que le peuple soit président et se débarrasse des politicards, des nuisibles et des parasites [6].

Propos recueillis par La Canardeuse


Notes

[1] La candidature de Daniel Adam a été déposée en novembre 2014 auprès du Conseil constitutionnel suite aux élections municipales du printemps 2014.
[2] Selon la définition qu’en donne l’historien Gérard Noiriel dans un livre à paraître en mars 2017 aux éditions Agone Une histoire populaire de la France du XIVe siècle à nos jours.
[3] Le financement de cette campagne et les revenus de Daniel Adam peuvent être consultés sur le site du Peuple président.
[4] C’est ainsi, au nom de l’intérêt nazional et contre les communes, que Charlie Castaner a défendu en juillet 2014 à l’Assemblée nationale une loi d’amnistie empêchant les communes de se retourner en justice contre la banque Dexia et ses emprunts toxiques dont les intérêts représentent parfois jusqu’à 20% de la somme empruntée. Lire La Canarde, n°0 de 2015.
[5] http://www.citoyenreferent.fr
[6] Si vous voulez en savoir plus, renseignez-vous sur le site internet du Peuple président : http://www.le-peuple-president.fr

« Ingouvernables », en quête d'un idéal politique

À l’approche de l’élection présidentielle, le mouvement « Ingouvernable », d’inspiration anarchiste, remet en cause la démocratie électorale et le vote « comme seul horizon ». Outre des appels à « saboter » la prochaine échéance électorale, il revendique aussi la création de lieux libres et autogérés.

« 2017 n’aura pas lieu ». Avec ce mot d’ordre, le mouvement « Ingouvernable » développe depuis plusieurs mois une critique radicale du système électoral. La première rencontre « Génération ingouvernable » a eu lieu un week-end à Paris fin janvier, et d’autres assemblées et comités ont été organisés, notamment à Lyon et Nantes. Informel, ce courant regroupe principalement des militant-e-s, inscrit-e-s ou pas dans des partis, des libertaires, des autonomes, des habitants des ZAD et d’autres lieux squattés, des participant-e-s de Nuit Debout, etc. Beaucoup se réfèrent aussi aux cortèges de tête, qui s’élançaient au-devant des syndicats pendant les manifestations contre la Loi travail. La plupart sont plutôt jeunes, mais le terme "génération" a fait débat, certains pensant que la question de l'âge n'est pas ce qui les rassemble. La ligne du mouvement est claire : dénoncer la mascarade des élections. Cette position n’est pas nouvelle, mais semble prendre une tournure particulière avec la campagne présidentielle 2017.

Au sein de « Génération Ingouvernable », le rejet et la défiance envers le personnel politique se matérialisent par des appels à « saboter » l’élection. Plusieurs idées d’actions sont proposées_: manifestations pendant les meetings et le soir du premier tour, « enfarinages » de candidats, appels à bloquer l’accès aux bureaux de vote. « Il ne faut pas culpabiliser ceux qui veulent aller voter, mais dépasser l’illusion que ce n’est que par un vote que l’on peut avoir une activité politique », ont rappelé plusieurs participants au week-end parisien. Au sein du mouvement, la question du vote blanc est aussi débattue. Pour certains, il peut servir à « montrer que l’on n’est pas d’accord » et pourrait entraîner une annulation de l’élection si les bulletins blancs sont majoritaires. Pour ceux qui sont contre le principe même des élections, le vote blanc participe à les cautionner. Derrière ces divergences, une idée commune : « destituer » le pouvoir en place. Mais peu de réponses sont apportées sur ce qui pourrait le remplacer. Pour un participant, « ce n’est pas le moment des propositions. Il faut viser la suspension, libérer les choses. »

Pour un confédéralisme démocratique

La réunion nantaise fut l’occasion de définir cette « ingouvernabilité ». « Être ingouvernable n’est pas une identité politique, mais une attitude, une idée collective à un moment donné », estime un militant. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes est largement prise comme exemple pour illustrer la notion de « territoire ingouvernable » qu’il conviendrait de développer, sur le modèle de la Commune de Paris. Selon un habitant de la ZAD présent à l’assemblée, l’expérience menée sur cette zone prouve qu’il est possible « de faire sécession, arracher des territoires, ouvrir des espaces... »

Cette reprise en main du pouvoir au niveau local pourrait rappeler le municipalisme libertaire théorisé par Murray Bookchin, un auteur américain du 20e siècle. Ce projet politique et social est basé sur un confédéralisme démocratique, composé de communes et municipalités libres et autogérées. Il promeut la démocratie directe décentralisée qui agirait, selon Bookchin, comme un « contre-pouvoir capable de placer en contrepoint à l’État centralisé des assemblées et des institutions confédérales »[1]. Concrètement, il s’agit de favoriser une organisation sociale à l’échelon local avec des assemblées de citoyens autonomes prenant les décisions pour la communauté. Les problématiques concernant un cadre plus large que la commune sont discutées au niveau régional, voire confédéral.

Ce modèle est aussi revendiqué par le mouvement kurde qui milite pour son indépendance au Moyen-Orient. À la mort de Bookchin en 2006, et sous l’impulsion de son leader Abdullah Öcalan qui correspondait avec l’auteur américain, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) initie la construction d’un municipalisme libertaire dans la région du Rojava (Kurdistan syrien, au nord-est de la Syrie) où les Kurdes ont proclamé leur autonomie en 2012. Le Rojava dispose de sa propre administration depuis 2013 et s’est doté, l’année suivante, d’une Constitution[2]. Cette reprise en main du pouvoir sur un territoire défini est également mise en œuvre depuis 1994 par les Zapatistes au Chiapas (Mexique), avec la création de municipalités et régions autonomes. Des expériences de vie collective, d’autonomie politique et d’affranchissement du pouvoir central qui inspirent les tenants d’une vie « ingouvernable ».

Clément Barraud, pour Lutopik


[1]
[2]

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A Propos

La Coordination Permanente des Médias Libres & Médias Citoyens

La coordination permanente des médias libres est née en 2014, en marge des rencontres des médias libres et du journalisme de résistance, à Meymac, en Corrèze, et regroupent une soixante de membres : journaux « pas pareils », radios associatives, télés libres, pirates du web, adeptes du participatif, de l'éducation aux médias, estimant qu'une autre information est possible et qu'une autre manière de la faire aussi. En parallèle, « Médias Citoyens » est un réseau, initialement né en Rhône-Alpes et qui, depuis, s'est également structuré en Provence-Alpes Côtes d'Azur dont le but, en fédérant le « tiers secteur médiatique », est, pour ses différents membres, d'apprendre à mieux se connaître pour mieux se faire connaître et à mieux s'entendre pour mieux se faire entendre.

Malgré des modes de fonctionnement, des pratiques, des lignes, des statuts et des objets différents, ces médias se retrouvent dans l'idée qu'un média ne saurait se résumer à la production d'information et qu'il a éminemment une place dans la cité, ne serait-ce que par l'organisation et l'animation de débats, par l'éducation aux médias ou par la dimension participative d'un journalisme participatif qui donne de la voix aux sans-voix.

Après s'être penché lors de la Cop 21 sur le « greenwashing », le « tiers secteur médiatique » a décidé de porter un autre regard sur les élections.

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