Le FN se met au vert (de gris)


L’extrême droite braconne de plus en plus sur les terres de l’écologie. Enquête sur le « green washing » à la mode frontiste.


A quoi reconnaît-on un frontiste écolo ? A sa monture : une « deuche » pétaradante ! « Voilà Tanguy dans sa belle voiture française, lâche Stephano. Elle est increvable ! » Soupir d’un « camarade » : « C’est même dommage de s’en servir pour les collages... » Mais aujourd’hui, c’est fête, Tanguy Vernay prend la tête du collectif vauclusien « Nouvelle écologie », la branche « verte » (de gris) du FN.

Faut dire que cet élu RBM (« Rassemblement bleu Marine ») à Carpentras est « paysagiste », son entreprise ayant reçu « le trophée de la performance environnementale ». Et si le FN a choisi le « 84 », c’est parce qu’entre le poids de l’agriculture et les luttes écolo, ce département est, pour le Front, une terre d’élection. D’où la venue des fondateurs, Philippe Murer, économiste passé par le PS et Debout la République, et Eric Richermoz, l’assistant de la députée européenne Sylvie Goddyn (1).

Des écolos pro nucléaire

Pour ce dernier, « quand on est patriote, on est écolo » et réciproquement. Et ce « bébé Marine » de fustiger autant « l’importation de légumes du Maroc » que « le monopole de la gauche et des Verts » sur l’écologie. Philippe Murer se veut le chantre d’une « écologie qui ne dégoûte pas de l’écologie » : haro donc sur « l’écologie punitive, de l’interdiction ». Le FN n’est ni « contre les agriculteurs » ni « contre les chasseurs ». Et s’il est contre le « gaz de schiste » ou « la ferme des mille vaches », il n’est pas contre le nucléaire : « si l’on sort du nucléaire et du pétrole, c’est le retour à la bougie ! » Haro également sur « EELV qui veut interdire le diesel à Paris, alors que les derniers modèles ne polluent pas plus que l’essence ». Au FN, on peut donc être « contre Notre Dame des Landes » mais « pas contre le barrage de Sivens : ce n’est pas aux ZADistes, ces groupuscules violents d’extrême gauche, de faire la loi. »



Quand on rappelle les oscillations du FN sur le gaz de schiste ou le refus de voter la motion pour que la région Paca soit zone « hors Tafta » (2), Philippe Murer botte en touche, préférant s’en prendre à Reporterre et à son enquête sur le collectif : « Comme ils n’ont rien trouvé, il a fallu que j’insiste pour qu’ils publient leur papier. Un papier à charge. Ce sont des intégristes. Faudrait s’excuser de vivre, parce qu’on a écrasé quelques fourmis... » (3) De toute manière, recadre Richermoz, « on est là pour enrichir le programme de Marine. C’est elle qui tranchera ». D’ailleurs, pour les prochains collectifs, ce sera « après les départementales »...

En attendant, d’après Sébastien Barles, d’EELV, « au niveau européen, le FN s’investit de plus en plus sur les questions écologiques. Avant, ils n’étaient que sur la cause animale. Aujourd’hui, ils regardent nos argumentaires, s’approprient le vocabulaire et votent même comme nous. Après, difficile d’être crédible quand on ne défend pas la biodiversité... humaine ! »

François Pecqueur se souvient avoir accueilli à Marseille au Point de Bascule une association, « Culture libre », pour plusieurs conférences, notamment sur des questions écologiques, « avant de se rendre compte qu’elle était proche de la galaxie Soral. Mais, si l’extrême droite avance masquée, ça ne me surprend pas de la voir de plus en plus à visage découvert. Si elle avance, c’est qu’on lui laisse le terrain. »

Coquilles vides à composter

A l’origine d’une ZAD à Allauch, David, veille au grain : « Avec les élections, sur la ZAD, c’est un véritable défilé. Mais, du côté de l’extrême droite, j’ai prévenu. S’ils viennent, on les accueillera à coups de manche ! » Et le militant d’évoquer le tract distribué par l’UPR (4) fin février lors de la « Faites sans OGM » à Avignon : « Le visuel ? Une seringue dans une tomate. Le titre ? "Pourquoi l’Union européenne impose les OGM". Si tu n’as pas un peu de background, tu signes des deux mains. Mais en discutant, tu te dis que quelque chose cloche. » Témoignage d’une organisatrice : « Quand on leur a demandé s’ils avaient une autorisation pour tracter, ils sont partis ! » Réaction du responsable de l’UPR 13 : « On n’est ni de gauche ni de droite mais on n’a rien à voir avec l’extrême droite. Nous, contrairement au FN, on veut vraiment sortir de l’Europe ! »

De fait, tout ceci n’est pas nouveau. « Une partie des fondements de l’écologie se retrouve à droite, voire à l’extrême droite, rappelle le sociologue Joël Gombin. Et, déjà dans les années 80-90, le FN s’est investi sur ce terrain. Aujourd’hui, il veut être là où on ne l’attend pas. Parce que, médiatiquement, ça paye. Parce que ça permet de récompenser des militants. En attendant, ces collectifs sont plutôt des coquilles vides. Et le FN peut encore se permettre de ne pas avoir de discours cohérent... »

Dont acte à Carpentras. Interrogé sur la portée dans un territoire agricole d’un discours écolo d’un parti dont c’est loin d’être l’ADN, Tanguy Vernay fait la moue : « On sait qu’on ne va pas tout révolutionner. On va d’abord faire un état des lieux écologique du département. Après, on verra... » En voyant les tracts pour les départementales - où s’affiche un proche de Bompard roulant désormais pour le Front - on lui demande si le FN imprime sur papier recyclé : « Je crois pas. Mais là, on s’éloigne du sujet... »


Sébastien Boistel



1. Dernière minute : Murer est concerné par l’enquête qui vient d’être ouverte sur les assistants européens du FN qui ont des fonctions au sein du parti d’extrême droite, le Parlement européen soupçonnant qu’il y ait là fraude…

2. Le traité de libre-échange Europe/Etats-Unis (Cf le Ravi n°117).

3. Reporterre nie cette version des faits : « On a tout simplement différé la sortie de notre enquête, moment pendant lequel Murer n’a cessé de nous contacter pour savoir quand on allait la publier ! »

4. UPR : Union populaire républicaine, un groupuscule souverainiste.




Cet article a été publié initialement par Le Ravi, journal d'enquêtes et de satire en PACA.